Un Lézard, au bord du Nil,
Rencontrant un Crocodile,
Terrible et puissant reptile ;
Bonjour, Cousin, lui dit-il,
Dieu me donne enfin la joie
Que face à face je voie
Dans un si proche parent,
Un Roi si noble et si grand.
Pour notre pauvre Famille,
Qui dans le monde fourmille,
Quelle chance, et quel honneur !
J'ai fait une longue route :
J'ai voulu, coûte qui coûte,
Saluer votre Grandeur.
Ils y viendront tous sans doute :
Chez nous on garde, Seigneur,
Une fidèle mémoire
De vos premiers ans de gloire.
Il est bien vrai qu'au pays
Nous sommes de pauvres hères :
Le jour, entre les bruyères,
Nous glissons ; notre logis
Est, la nuit, un tas de pierres.
Nous sommes pourtant du bois
Dont on fait et Rois et Reines,
Puisqu'en ces fertiles plaines,
Petits Lézards autrefois,
Les Crocodiles sont Rois.
Le redoutable Amphibie
Dormait à ce compliment :
Aux derniers mots seulement,
Sa paupière appesantie
Fit un léger mouvement.
Qui me parle ? Qui m'approche ?
Dit-il, en grondant. - C'est moi,
Répond le cousin du Roi,
Moi, votre parent très proche.
Lors, se croyant écouté,
Mot pour mot, il lui répète
La route qu'il avait faite,
Celle que la Parenté
Pour sa visite allait faire ;
Et leur fâcheuse misère ;
Et que son autorité,
S'il avait cette bonté,
Pouvait bien les y soustraire...
Mais il n'avait qu'à demi
De nouveau dit son affaire,
Que l'autre était rendormi.
Favoris de la Fortune,
Puissants d'hier, nouveaux Grands,
Pour vous des petits parents
La rencontre est importune.
Leur aspect vous fait souffrir ;
Et la Famille est heureuse
Quand sa voix nécessiteuse
Ne fait que vous endormir.