D'une bataille meurtrière
Le Lion revenait : sa gueule et sa crinière
Encore dégouttaient de sang.
Sa Garde le suivait à double et triple rang,
Et devant lui flottait sa royale bannière.
Près d'un fossé bourbeux il lui fallat passer.
Une Grenouille enrouée,
Et de sa voix engouée,
Entre les joncs se mit à coasser,
A déclamer dans la fange,
En style de Grenouille, une rauque louange,
Une Ode, un Hymne, enfin je ne sais quoi,
Dont le refrain était : Vive le Roi !
Tout à coup le Lion s'arrête ;
On voit le superbe Animal
Dérider son front martial,
Adoucir ses regards, et d'un signe de tête,
Et d'un Bravo, répondre à ce chant triomphal.
Un de ses officiers, connaisseur en musique,
Vers la fosse avait fait un pas,
Pour imposer silence au Pindare aquatique ;
Mais après ce Bravo du Prince, il n'osa pas.
Louez, louez toujours : Rossignol ou Grenouille ;
Qu'importe de rimer, de chanter de travers ?
Ce n'est ni le chant ni les vers,
C'est la louange qui chatouille
Et maîtrise les Rois, maîtres de l'Univers.