Le Lion et le Taureau

Pierre-Louis Ginguené (1748 - 1816)


L'autre exemple est tiré des mêmes animaux.

Un Lion vit un jour le plus fort des Taureaux.
La faim lui disait : pille, attaque ; la prudence
Vint conseiller la faim, qui conseille fort mal,
Ainsi que chacun sait, et l'homme et l'animal.
La ruse encore ici remplaça la vaillance.

Ami, dit le Lion, je tue un jeune agneau
Ce soir, et cette nuit je ferai bonne chère.
Songeant à toi, chez moi j'ai jeté sur la terre
De l'herbe, où tout son sang doit couler en ruisseau.
C'est des Taureaux de cour l'entremets ordinaire :
De l'herbe au sang d'agneau ! n'en as-tu point goûté ?
C'est un manger des dieux. L'herbivore est tenté
De ce ragoût ; il va : que voit-il ? des chaudières,
De fagots secs et de bruyères
Une immense provision.
Sans demander son reste, il s'enfuit. Le Lion
Lui crie : Arrête, viens : c'est l'agneau qu'on va cuire.
Faites, si vous voulez, sans moi collation,
Répond l'autre, en riant, commeun Taureau peut rire.
Je m'en retourne à jeûn, mais je sauve ma peau.
Je vois que tant d'apprêts fut destiné, beau Sire,
Pour un gibier plus gros et plus fort qu'un agneau.

Crains tout d'un ennemi, dit le Sage d'Afrique ;
La ruse, à force égale, est son perfide appui.
Redoute ses assauts moins que sa politique,
Et jamais ne te fie à lui.

Fable 56




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