Le Lézard et le Caméléon Étienne Azéma (1776 - 1851)

Autrefois le Lézard vit un Caméléon,
Jeune créole d'Amérique.
Il rampait comme lui, portait même tunique,
Et partant l'égrillard se fit le compagnon ;
L'ami du sauvage antipode.
Il raffolait de celui-ci ;
Prisait par-dessus tout sa couleur d'émeraude,
Parce qu'elle était sienne aussi.
L'Américain flatté de cette amitié franche,
S'en fut un beau matin frapper à la maison,
Ayant ce jour l'habit citron,
Et se promettant bien d'y passer le dimanche,
Le Lézard recula trois pas.
— Comme vous voilà fait ! qu'avez-vous, camarade ?
La fièvre jaune, n'est-ce pas ?
Oh ! je vous tiens pour bien malade.
Si vous m'en croyez, purgez-vous.
— Les gens de ce pays sont fous,
Dit le Caméléon, regagnant sa demeure ;
Je n'eus jamais santé meilleure.
Qui dit Lézard dit bon ami.
Le nôtre ne rêve à toute heure
Que du Caméléon, qu'il croit mort à demi.
Il s'en épouvante, il en pleure,
La nuit en a le cauchemar.
L'aube à peine venue, il se retrousse, il part,
Et trouve son intime en robe d'écarlate,
Courant, grimpant, frais, tout gaillard,
Et jouant gaîment de la patte.
Le Lézard, qui le voit joyeux et rubicond,
En a l'âme tout ébaudie ;
Croit qu'il s'est peint de vermillon,
Pour jouer quelque comédie :
— Vous êtes donc universel ?
Je vous ai vu vert, jaune et flamme ;
Si vous continuez, vous prendrez, sur mon âme,
Les sept couleurs de l'arc-en-ciel.
— Oh ! que cela ne vous étonne,
Dit l'étranger ; je prends la couleur que je veux.
— Puisque telle est votre personne,
Seigneur Caméléon, je vous fais mes adieux.
Soyez rouge, vert, gris ou blême,
Si c'est votre plaisir. Pour moi, je fuis les gens
Qui sont journaliers et changeants :
Je veux qu'on soit toujours le même.

Livre III, Fable 4




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