Sur le bord d’un sentier on vit naître une Plante
Qui paraissait dans ce séjour
Pour la première fois. Faible encore et naissante,
Elle n’annonçait pas la majesté qu’un jour
Son front devait porter en atteignant la nue.
Elle fut longtemps inconnue
A tous les Arbres d’alentour,
Sa race sur ces bords n’étant pas établie.
C’était l’Arbre géant venu de l’Italie.
Il devait sa naissance en ces lieux étrangers
Au hasard, à Zéphire, ou bien aux messagers
Dont se sert la prudente Flore
Pour égaliser ses sujets
Et multiplier ses bienfaits,
Afin qu’en tous lieux on l’honore.
Cet Arbre fit de grands progrès ;
Heureux, il s’éleva ; ce ne fut pas sans peine.
Car, pendant sa faiblesse et ses premiers essais,
Il eut à surmonter l’égoïsme et la haine.
Enfin il parcourut, en dépit des propos
Et des efforts de ses rivaux,
Une assez brillante carrière.
Un jour que le zéphyr agitait ses rameaux,
Ce Colosse, un instant courbant sa tête altière,
Aperçoit à ses pieds ses anciens ennemis
Devenus à leur tour muets et soumis.
« Hé quoi ! c’est à vos pieds, dit-il, qu’on m’a vu naître ;
Et vous êtes restés si bas
Qu’à peine d’où je suis l’on peut vous reconnaître !
Quand je commençais à paraître,
De mes succès futurs vous ne vous doutiez pas.
Alors je m’ignorais moi-même,
Et m’efforçais péniblement
A résister tout seul à maint évènement.
Nul ne vint à mon aide en ma détresse extrême ;
Et vous étiez pour moi comme des étrangers,
Quand, du sein de la terre avec peine sortie,
Ma tige faible encor craignait mille dangers,
Je faillis étouffer un jour sous une Ortie !
Mais vous n’y fîtes pas la moindre attention :
L’orgueil est sans compassion.
Chaque jour paraissait amener ma ruine.
Des animaux rongeurs, sous la terre cachés,
M’attaquaient bien souvent dans ma tendre racine,
Et mes jeunes rameaux en étaient desséchés.
Mais tout cela vous faisait rire ;
Et, pour peu que le doux Zéphire
Devenant mon dieu protecteur
Agitât ma feuille mobile,
Vous prétendiez que je mourais de peur,
Et vous m’appeliez un trembleur.
L’avez-vous oublié, Ronce triste et débile.
Qui, ne pouvant porter votre charge inutile.
La confiez, à vos voisins ?
Pendant votre croissance ignoble et paresseuse
Vous étendiez sur moi votre ombre dangereuse.
J’eus parfois à souffrir de vos dards inhumains,
Lorsque, novice encor, j’étais faible et modeste.
Te voilà donc aussi, Voisin sombre et funeste,
Si fier de tes rameaux bénis et toujours verts,
Dont les destins pieux et la fraîcheur constante
Bravent avec orgueil et l’âge et les hivers,
Aux dépens du prochain et des projets divers
Que notre colonie enfante.

Contre tous les dangers qui menaçaient mes jours,
Le ciel me prêta son secours.
Rassurez-vous, croissez suivant votre fortune.
Ma plainte, qui vous importune,
Sera muette désormais.
Appuyez-vous sur moi, recevez, mes bienfaits,
Ne redoutez pas mon ombrage ;
Il tient fort peu de place : il est celui du sage. »

Fable 4




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