L'orgueilleux Gui du Chêne à celui du Poirier
Adressa ce discours : « Malheureux roturier !
Vous avez beau prétendre, et vous avez beau faire,
Vous n'atteindrez jamais ma noblesse exemplaire.
Soyez de bonne foi : convenez qu'entre nous,
Non seulement le sort mit de la différence,
Mais qu'il existe à peine un peu de ressemblance.
Vous ne diriez pas non, si vous n'étiez jaloux.
Je serais désolé d'être fait comme vous ;
Vous avez l'air grossier ; votre feuille est épaisse
Beaucoup plus que la mienne, et, pour peu que je naisse
Dans votre voisinage, on ne regarde plus
Vos buissons trop nombreux et le vain étalage
De tous vos rameaux superflus.
Votre seul et faible avantage
Est de remplacer le feuillage,
Et de briller sur nos coteaux,
Quand vous n'avez plus de rivaux.
On peut vous supporter lorsque Éole moissonne
Les promesses de Flore ou les dons de Pomone.
On vous voit alors sans chagrin :
« Vous valez un peu mieux que rien.
Si vous disparaissez , on se console vite.
Vos fruits n'eurent jamais l'éclat éblouissant
Qui de mes fruits sacrés est le premier mérite.
On compare les miens aux perles d'Orient,
Et l'on a bien raison : on s'y trompe aisément.
Mes trésors sont rivaux des trésors d'Amphitrite.
Votre destin n'est pas si doux :
On n'a jamais parlé de vous ;
Et, bien que cela vous irrite,
C'est tout ce que pour vous on peut faire de mieux.
Savez-vous ce que c'est qu'un mortel parasite ?
Un parasite est un être odieux.
Ce nom n'appartient pas aux objets précieux.
Vous faites l'étonné ! mais vous devez me croire.
Je puis me dispenser de raconter l'histoire
De mes Ancêtres merveilleux :
Leur noble souvenir est assez glorieux,
Ils ont des droits à la mémoire.
Non vous n'êtes pas un trésor.
Vient-on jamais, armé d'une faucille d'or,
Vous moissonner comme une chose rare ?
Cela me semblerait bizarre.

L'autre Gui, pendant ce discours,
Gardait un modeste silence.
L'avenir , pensait-il, punira l'insolence
De mon sosie : on ne rit pas toujours ;
Et tôt ou tard il est une auguste vengeance
Qui vient égaliser les rangs.
En effet la main redoutable,
Dont les ravages menaçants
Ne laissent entrevoir ici-bas rien de stable,
Frappe du même coup le Gui du Chêne altier
Et celui de l'humble Poirier.
Vers le même destin le trépas les entraîne.
Hélas ! le Gui superbe, en tombant de si haut,
Fut méconnu tout aussitôt . Il avait beau crier :
e suis le Gui du Chêne !...
Lorsque de tous les deux on eut fait un fagot,
La grandeur fut une ombre vaine.

Fable 8




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