J'entends, chez nous, très-souvent dire :
" Que le monde, tant qu'il voudra,
Exerce sur moi sa satire,
Je me sais innocent et mon cœur m'absoudra. »
Non, ce n'est pas assez; par notre indifférence.
Nous pouvons à nous perdre encourager les gens ;
Il faut pour notre honneur être plus exigeants,
Et conserver du bien jusques à l'apparence.
C'est vous, jeunes beautés, que je veux avertir:
Votre plus beau joyau, c'est votre renommée;
Elle est pareille en tout à la fleur embaumée
Que le printemps voit naître et qu'un rien peut flétrir
En vain votre cœur pur garde son innocence,
Un mot imprudent, un regard
Peut souvent contre vous armer la médisance,
Et votre honneur alors doit courir grand hasard.
— Mais quoi! ne peut-on plus regarder ni sourire ?
Me direz-vous. — Non, ce n'est pas
Ce que par là j'ai voulu dire.
Pourtant avec prudence observez tous vos pas ;
Un soin si scrupuleux doit toujours vous conduire
Qu'il ne laisse au méchant nul prétexte à vous nuire.
Pour tes compagnes et pour toi, Annette, ma petite amie,
J'ai composé ma fable et je t'en fais l'envoi.
A peine entres-tu dans la vie,
Ma voix pour ton oreille est encore un vain bruit ;
Mais grave mon conseil dans ta jeune mémoire ;
Plus tard, il portera son fruit.
Ecoute : d'un agneau l'on m'a conté l'histoire,
Et je veux , à mon tour, te la dire aujourd'hui.
De soins plus importants je te sais occupée,
Mais dans un petit coin va mettre ta poupée ;
Mon récit sera court, n'en crains aucun ennui.
Un jeune agneau, simple et novice,
Ayant d'un loup trouvé la peau,
S'en revêtit, et, sans chercher malice,
Alla se pavaner au milieu du troupeau.
De son déguisement faisant ainsi parade,
Il ne voulait qu'être applaudi ;
Mais les chiens vigilants, voyant notre étourdi,
Croient qu'un vrai loup chez eux vient faire une algarade ;
Vers lui toute une meute, en hurlant, a bondi.
Les mutins, sur son dos signalant leurs prouesses,
Avant que le pauvret fût à lui revenu.
Des pattes et des dents allaient le mettre en pièces ;
Par bonheur, les bergers à temps l'ont reconnu.
Sauvé par eux , l'agneau s'en tire,
Mais sous la dent des chiens lorsque l'on a passé,
On sait que ce n'est pas pour rire !
Par tant d'assauts, meurtri, froissé,
Jusqu'au bercail notre insensé
Se traîne, et, depuis lors, dépérissant sans cesse ,
Il voit, de jour en jour, augmenter sa faiblesse.
Il nous apprend qu'on perd beaucoup
A déguiser son caractère :
Quand on est agneau débonnaire,
Pourquoi vouloir paraître loup ?