L'Épagneul et le Caméléon Anne-Marie de Beaufort (1763 - 1837)

Un Épagneul était l'amour de sa maîtresse ;
Hélas ! nous voyons plus d'un chien
Que l'on préfère à gens de bien !
Favori fut du nombre ; un saut, une caresse,
De mille méchants tours obtenait le pardon.
Chaque faute paraît si drôle, si gentille !
De tout ce qu'il désire on lui fait l'abandon ;
Enfin on le traitait en aîné de famille.

Un beau matin, par un vent pur et frais,
Favori veut courir sur la plaine fleurie ;
De la maison il ne sortait jamais,
C'était fête pour lui de revoir la prairie.
Il jappe, saute, roule au milieu du gazon,
Quand près de lui, par aventure,
Se rencontre un Caméléon,
Recevant sa couleur de la tendre verdure.

— Eh quoi ! lui dit le chien ; emblème du flatteur
» Vous vivez comme un solitaire !
» Que faites-vous ici de votre art séducteur ?
» Retournez à la cour, c'est l'asile ordinaire
» De vos pareils ; allez-y montrer vos talents.
» La Fortune toujours se montre favorable
» A qui n'a point de couleur véritable :
» Ami, j'ai vu le monde, et je connais mes gens.

» — Seigneur, répond le sycophante,
» Dans le sein des grandeurs je vécus autrefois ;
« Courtisan comme vous, je sus tromperies rois,
« Et j'ai joui d'une laveur brûlante ;
« Mais Jupiter, ennemi du flatteur,
« Par un arrêt cruel a détruit mon bonheur.
« Sous cette honteuse figure
« Il veut que seul au fond des bois
« Et menant une vie obscure,
« Je rampe encor comme à la cour des rois.
« Ainsi ce dieu, qui lit dans notre conscience,
« Y découvre la vérité,
« Et punit avec équité
« Ce que l'homme séduit trop souvent récompense. »





Commentaires