Un Epagneul s'éloignait de son gîte ;
Il allait au plus vile
Vers un vieux et riche château,
Où certain puissant personnage,
Ayant laquais dorés, chevaux, bel équipage,
Voulait pour son chenil recruter du nouveau.
Lui, bon chasseur, bien fait et beau,
Fut goûté par les gens de notre seigneurie.
Incontinent admis, il se vantait tout haut,
D'avoir fui le logis, et son effronterie
Allait jusqu'à railler le lieu de son berceau.
Le ciel le châtia, Cédant à leur furie,
Lés chiens qu'il remplaçait s'acharnent sur sa peau.
Défiguré, traînant la patte et fort penaud,
Il s'évade, sans bruit, non sans mélancolie :
« Que je fus sot, se dit alors notre animal,
De quitter ainsi mon bon maître !
Il me soignait. Chez lui, préservé de tout mal,
De ses enfants que, ma foi, je vis naître,
J'étais le préféré ; j'avais mille douceurs.
Oui, mon ingratitude a causé mon malheur !
Retournons au logis. » 11 perd, hélas ! sa route.
La nuit venant, il s'enfonce en un bois,
N'ayant de tout lo jour rongé la moindre croûte,
Affamé, fatigué comme un cerf aux abois.
Le matin le ranime, et le voilà qui trotte.
On lo voitj on le prend pour un chien malfaisant,
On le saisit, on le garrotte,
Quoiqu'il fût humble et suppliant.
À la ville prochaine, il est mis en fourrière,
Et l'on allait l'abattre en crainte de sa dent,
Quand son maître survint, et, grâce à sa prière,
Le triste fugitif put rentrer repentant.
De son heureuse quiétude,
Pourquoi s'était-il dégoûté ?
L'ambition sans doute a quelque bon côté,
Mais non jamais l'ingratitude.