L'Épagneul et le Jeune Chat Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

A Minet, gai matou, qui jouait et sautait,
Comme un jeune chat qu'il était,
Un épagneul, jadis rempli de gentillesse,
Mais, à présent, touchant à la vieillesse,
Un jour en ces termes parlait :
« Notre jeune et belle maîtresse
Autrefois de moi raffolait,
Et des marques de sa tendresse
A chaque moment m'accablait.
Alors, à la fleur de mon âge,
Joueur, insoucieux, volage,
Souvent, à sa vive amitié
Je ne répondais qu'à moitié.
Aujourd'hui, que je l'apprécie
Et que l'âge et le jugement
Ont doublé mon attachement ;
Que je l'aime plus que ma vie !
J'en obtiens à peine un regard.
Quel changement, à mon égard,
Chaque jour je remarque en elle !
Hier, comme elle fut cruelle !
Quand je voulus lécher sa main,
Elle la retira soudain ;
J'en ressentis une douleur mortelle.
Dès qu'elle repose, sans bruit,
En dehors, je fais sentinelle ;
Hélas ! aux pieds de l'infidèle
Autrefois je passais la nuit !
En vain je redouble de zèle,
Mes soins n'obtiennent aucun prix.
De vous seul son cœur est épris ;
Sa main vous caresse à toute heure,
Et pourtant dans cette demeure
Vous êtes un nouveau venu.
Par quel secret, quel artifice,
A plaire êtes-vous parvenu ?
D'où vient une telle injustice ? »
- Je suis jeune, » reprit Minet,
Pour plaire c'est tout mon secret.
Avec les qualités de l'esprit et de l'âme,
A captiver un cœur il vous faut renoncer ;
La jeunesse ! voilà ce qui séduit, enflamme,
Et que rien ne peut remplacer !
De vaincre votre amour il faut vous efforcer ;
Il faut du moins le cacher et le taire.
Ridicule aux yeux de chacun,
Un amant suranné ne peut qu'être importun ;
Il n'est permis d'aimer qu'à l'âge où l'on peut plaire. »

«< Ah ! si mon cœur pouvait encor se renflammer, »
A dit mon maître en l'art des fables !

Loin de former des voeux semblables,
J'en fais, moi, pour ne plus aimer ;
Pour voir, sans être ému, tant d'objets adorables !
Il n'est pas de plus grand malheur
Que d'être, en vieillissant, jeune encor par le cœur.
La grâce, la beauté, sont, hélas ! peu durables
Et se hâtent de nous quitter ;
L'âme ne vieillit point ; il faut lutter, combattre,
A son penchant sans cesse résister ;
Dompter ce cœur, qui ne cesse de battre
Que quand on cesse d'exister !

Livre II, fable 14




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