Halte-là, lecteur, et qui vive ?
Es-tu le partisan ou l’envieux du beau ?
Et si par hasard il m’arrive
De t’offrir quelque trait sensé, vif et nouveau,
N’es-tu point résolu d’avance
À le trouver mauvais, et sans autre pourquoi ?
S’il est ainsi, je te dispense
D’aller plus loin : je n’écris pas pour toi.
Va-t’en porter ta censure hautaine
Sur Corneille, Boileau, Racine ou La Fontaine :
Voilà des écrivains dignes de t’exercer.
Pour moi, je n’en vaux pas la peine.
Ce serait pauvre gain que de me rabaisser.
Je veux un lecteur équitable,
Qui pour tout mépriser, n’aille pas se saisir
De quelque endroit en effet méprisable ;
Qui me blâme à regret, lorsque je suis blâmable ;
Et lorsque je suis bon, le sente avec plaisir.
Vive ce lecteur sociable :
Mais quant à ces lecteurs malins,
Qui des talents d’autrui font leur propre supplice,
Puissent naître pour eux des ouvrages divins,
Dont le mérite les punisse,
Ils n’auraient avec moi que de petits chagrins.
La nature est par tout variée et féconde.
Dans un pays du nouveau monde
Qu’habitent mille oiseaux inconnus à nos bois,
Il en est un de beau plumage ;
Mais qui pour chant n’eut en partage
Que le talent railleur d’imiter d’autres voix.
Sire Moqueur (c’est ainsi qu’on l’appelle),
Entendit au lever d’une aurore nouvelle,
Ses rivaux saluer le jour.
De brocards fredonnez le railleur les harcelle ;
Rien n’échappe ; tout a son tour.
De l’un il traîne la cadence ;
De l’autre il outre le fausset ;
Change un amour plaintif en fade doléance,
Un ramage joyeux en importun sifflet ;
Donne à tout ce qu’il contrefait
L’air de défaut et d’ignorance.
Tandis que mon Moqueur par son critique écho
Traitait ainsi nos chantres da-poco ;
Fort bien, dit un d’entre eux, parlant pour tous les autres :
Nos chants sont imparfaits ; mais montrez-nous des vôtres.