La Belle et la Guêpe Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Combien de vains discours
Se glissent tous les jours
A l'oreille des belles !
La sottise en rabat, l'orgueil en cheveux longs,
Tels qu'un vil essaim de frelons,
Bourdonnent sans cesse autour d'elles :
Que je les plains, si ce perfide encens
Peut gagner leur esprit et chatouiller leurs sens !
O Belles, permettez qu'un ami vous expose,
En élaguant sa fable, et ménageant les mots,
Ce qu'un auteur anglais raconte à ce propos :
J'abrège son récit pour cause.

Doris, un jour d'été, rêvait à ses attraits,
Et, devant un miroir ajustant sa parure,
Joignait un nouveau charme aux dons de la nature.
Une Guêpe la voit, vole au loin, vole auprès,
Tantôt frise son cou d'albâtre,
De ses lèvres tantôt effleure le corail.
Doris la chasse en vain ; l'insecte opiniâtre
Se moque des coups d'éventail :
Même il a respiré les parfums de sa bouche,
Dieux, qui voyez ce trait d'une insolente mouche,
Vengez-moi, s'écria Doris.
- Quel si grand crime ai-je commis,
Dit la Guêpe ; et ce crime en suis-je bien la cause ?
Cachez-moi donc ces yeux si doux ;
Dérobez- moi ces traits dont le pouvair expose
A mériter cet injuste courroux :
Votre bouche a l'éclat et l'odeur de la rose.
A ce joli compliment
Doris n'a plus de colère.
La Guêpe épiait ce moment,
Et la touche du bout de son aile légère ;
Puis sur sa joue ose faire un larcin ;
Puis s'éloigne encor de la Belle,
A dessein d'obtenir une faveur nouvelle ;
Puis de Doris vient caresser le sein :
Alors, sans nul obstacle, elle met au pillage
Les roses et les lis.
L'imprudente Doris
Se prête au badinage ;
Mais ce doux jeu
Dura bien peu.
Tandis que la jeune étourdie
S'amuse de la sorte, et bannit tout soupçon,
Elle éprouve soudain, ô noire perfidie !
Que l'insecte galant portait un aiguillon.

Livre IV, fable 10




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