C'est trop longtemps laisser sous le sceau d'un emblème
Le triomphe d'un art qu'on professe et qu'on aime.
Bellérophon fut mis au rang des demi-dieux,
Pour avoir vaincu la Chimère ;
Certes le fait est glorieux :
Mais ce n'est pas un fait de guerre.
Il n'employa, pour cet exploit,
Lance, ni dard, ni cimetière ;
Et je vais vous mettre le doigt
Sur ce qu'alors on lui vit faire.
Les Liciens , fort bonnes gens ,
Mais doués de peu de bon sens,
D'un maudit animal avoient subi l'empire :
On n'en saurait trouver de pire.
Il nous faut un autre portrait
Que celui qu'Ovide en a fait.
Eu le voyant, d'abord, on l'eût cru raisonnable}
Tant il prenait bien l'air, capable,
Pour s'attirer plus de respect.
Dès qu'il cessait d'être suspect,
Il commençait par vous faire une fable.
Engendré dans le sein des Dieux ,
Il était immortel et sacré , tout comme eux ;
Et. devenu leur organe fidèle,
Pour ne point passer pour rebelle ,
Quoi qu'il lui plût d'imaginer,
Il fallait obéir , sans rien examiner.
Avait-il obtenu l'entière confiance ?
Les plus criants abus devenaient ses essais..
A la nature même il faisait le procès,
Et vengeait par le sang la désobéissance.
Un roi n'était plus rien chez soi,
C'était ce monstre-là qui devenait le roi.
Yobates, alors, régnant sur la Licie ,
Reçoit dans son palais un jeune aventurier,
Que précédait un ordre meurtrier
Qui devait lui coûter la vie.
Il déplaisait à ce bon souverain,
D'ensanglanter ainsi sa main.
Et, cependant, l'ordre venant d'un gendre,
Il faut paraître condescendre.
On échappe au soupçon de vouloir ménager
Celui qu'on expose au danger.
Prince, vous arrivez dans une circonstance
Qui vous appelle au plus brillant succès :
Le péril en défend l'accès ;
La gloire en est !a récompense.
Préparez-vous à jouter aujourd'hui
Contre un monstre plein d'arrogance .
Qui combat ici ma puissance ,
Dont mon peuple est la victime et l'appui.
Bellérophon , car enfin c'était lui,
De ce propos ne conçoit pas d'ennui.
Il faut qu'il s'arme en diligence,
Soudain de neuf beautés il reçoit l'assistance:
Elles mettent au Paladin,
Et l'armet et le gorgerin.
Un coursier, qui tentoit sa première aventure,
Devait lui servir de monture,
Deux ailes d'un beau gris perlé
En ont fait un cheval ailé.
Le champion sur lui s'élance,
Armé d'une invincible lance.
Et le monstre bientôt est atteint, égorgé.
Yobates se voit vengé.
De qui ? d'un vilain préjugé.
Quand le peuple eût connu la bête,
Au libérateur il fit fête.
On devine aisément le reste des acteurs :
C'étaient Pégase et les neuf Sœurs.
Bellérophon étoit poëte.
J'en vois bien plus d'un qui s'apprête
A mériter le prix au héros adjugé.
Tel pourrait aller loin , à moins qu'on ne l'arrête.
Jeune homme !... encore un mot!... tout n'est pas préjugé.