Mercure et le Temps Jacques Cazotte (1719 - 1792)

Danaé, la fille d'Acrise.
Dormait en paix, close en sa tour,
Ouverte aux seuls rayons du jour,
A l'abri de toute surprise ,
Lorsqu'y tombe, à grand carillon,
Un tas, qui n'était pas de paille;
Il s'agissait d'un million ,
Venant à travers la muraille.
Jupiter, ce chimiste adroit,
L'a fait filtrer par cet endroit.
Une Duègne , sage et soigneuse,
Qui, de plus était connaisseuse ,
Voit tous ces jolis médaillons :
Elle en prend des échantillons
A pleines mains : mais c'est peu dire,
Elle en ramasse à plein giron,
Puis va voir si le compte est rond.
Voilà Danaé dans la crise,
Sans secours, sans pouvoir crier,
Sans le vouloir. Voilà Mercure,
Courtier de toute l'aventure,
Attachant l'aile à son soulier.
Il aperçoit le temps qui passe;
Il va le suivre dans l'espace.
Holà. lui dit-il , grand pêcheur,
Qui vas traînant tout dans ta nasse,
Fais-nous quelque petite grâce;
Arrête-toi, c'est Jupiter;
C'est ce Dieu , sans prince et sans pair,
Qui recourt à ta courtoisie :
Il passe ici sa fantaisie ;
Mais elle lui coûte un peu cher.
Que de doublons ! la nuit s'écoule;
Fais-la durer le double, au moins.
Qu'est-ce que cela pour la foule
D ont le jour fournit aux besoins.
Ils dormiront d'autant, peut-être;
En ce cas ils n'en verront rien,
Et tu feras plaisir au maître.
Le faucheur lui répond : Vaurien !
Peste de cour! qui considère
Les individus de la terre,
Comme un néant auprès de vous ,
Allez : je vous en veux à tous.
C'est un vol forcé qui m'emporte.
Cependant je ferai de sorte
Qu'il tourne un jour de vos côtes ,
Et, loin d'être votre complice,
Un jour ma faux fera justice
De toutes vos témérités.
Si ton maître qui me fait honte,
Trouve que mon allure prompte
Borne ici ses amusements,
Dis-lui que, d'une âme souffrante,
Sans que son mal l'impatiente,
Je vais abréger les tourments.

Fable 57




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