La Chambrière, la Pelle et les Pincettes Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Tisonnons : c'est l'avis d'un très révérend père
Qui, le siècle dernier, en vers assez plaisants,
Fit un portrait boufson du Messager du Mans.
Cet auteur, qu'on ne lit plus guère,
Quoique la gaieté fût son lot,
S'attacha trop peut-être au genre de Calot ;
Peut-être sa muse légère
Abusa-t-elle encor du style de Marot ;
Mais ce n'est pas là mon affaire :
Tisonnons ; c'est l'avis du très révérend père.
Les Pincettes en main, remuant ses tisons,
Du cerceau nous apprend qu'on ne saurait mieux faire,
Et nous le prouve encor par de bonnes raisons.
Que s'il faut en donner une preuve nouvelle,
La voici, même en fable, et qui naît du sujet :
Dans cette grave affaire, il s'agit en effet
Des Pincettes et de la Pelle.

Vers la fin de l'automne, au fond d'un âtre obscur,
Elles se trouvaient délaissées.
Dans cette solitude, à qui parler ? au mur ?
Ce mur-là n'inspirait que de noires pensées ;
Puis Pincettes et Pelle, on ne peut le celer,
Savent mieux agir que parler.
Cependant consumer le temps à ne rien faire,
C'est ennuyeux. Dormir ? on ne dort pas toujours.
Quel parti prendre enfin ? voyez la belle affaire !
Hé bien, à la dispute il faut avoir recours.
Entre elles aussitôt commence une bataille.
Déjà le fer croise le fer ;
On se bat d'estoc et de taille,
Et bientôt c'est un bruit d'enfer.
Arrive, sur ces entrefaites,
Jeanne la Chambrière. -Eh, mesdames, holà !
Quel tintamarre ici vous faites !
J'y vais remédier. — Jeanne, en disant cela,
Sépare au même instant la Pelle et les Pincettes.
Elle allume un grand feu ; puis deçà, puis delà,
Vous les met en besogne, et, sans nul intervalle,
Occupe lestement l'une et l'autre rivale,
Lasses enfin de tracasser,
Les voilà toutes deux prêtes à s'embrasser,
Et du combat plus de nouvelle.

Ainsi l'oisiveté fit naître la querelle,
Et le travail la fit cesser.

Livre III, fable 12




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