Le Voltigeur et le Cul-de-jatte Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Balancé dans les airs sur sa corde fragile,
Un Voltigeur, non moins hardi qu'agile,
D'un peuple immense attirait les regards ;
Les bravos répétés volaient de toutes parts.
Au même lieu se trouve un Cul-de-jatte,
Qui plaint son malheureux destin,
Et maudit la nature ingrate
Qui lui donna des pieds en vain.
-Hélas ! disait-il en lui-même,
Puisqu'il n'est pas en mon pouvair
D'imiter ce sauteur, si je le voyais choir,
Que ma joie en serait extrême !
Le sort, par un étrange cas,
Fait arriver la chose ainsi qu'il le désire.
Le pied manque au sauteur ; voilà mon homme à bas,
Et le Cul-de-jatte d'en rire
Aux éclats.
L'autre lui dit : Mon pauvre hère !
Je gémis sur ton sort ; à quoi bon rire ainsi ?
Pour un seul de mes tours qui n'a point réussi,
Penses-tu qu'au public j'en ai moins droit de plaire ?
Va, crois-moi, cesse de railler ;
Il ne sied pas d'ailleurs à qui ne sait rien faire
De se moquer des gens qui savent travailler.

Livre VIII, fable 6




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