Deux jeunes renards imprudents
Se déchiroient à belles dents :
Je n’ai jamais trop su le fond de la querelle ;
Mais je sais bien que fort souvent
Parmi nous on en fait autant
Pour une simple bagatelle.
Le même jour, même hasard
Les conduisit tous deux chez un bon vieux renard.
Personnage prudent, et doyen de la bande,
Dispensant à chacun éloge ou réprimande
Fort à propos : l’un d’eux en sortoit sur le soir
Lorsque l’autre entra sans le voir.
J’ai, dit-il au doyen, fortement à me plaindre.
Et je ne puis plus me contraindre.
Aussitôt il le prit à part :
Vous connoissez certain renard
Notre voisin ? Oui, oui, vous devez le connoître ;
II est noté par-tout, et par-tout redouté,
Violent, colère, emporté,
Frippon, fourbe autant qu’on peut l’être,
Médisant s’il en fut ; et vous-même, entre nous,
Croyez-moi, redoutez les effets de sa rage.
Il m’en a dit autant de vous,
Je ne l’ai pas cru davantage,
Reprit le vieux renard, mais du ton le plus doux ;
Et sans vous ôter mon estime,
Peut-être trop légèrement,
J’aime mieux penser qu’un moment
Quelque secret ressentiment
L’un contre l’autre vous anime.
Bien peu de gens aujourd’hui
Auroient assez de prudence
Pour fermer ainsi que lui
L’oreille à la médisance.