Un bœuf, nouveau venu, débarqué dans Calais
N’eut pas à regretter les prés du Nivernais.
Il se vit entouré, le public lui fit fête,
Criant dessus les toits « que la divine bête,
Au merveilleux poil roux, à l’admirable tête,
Le plus puissant des dieux, était le bœuf Apis
Saintement révéré dans le temple d’Isis. »
La foule sur ses pas semait les fleurs de lys.
Le bœuf, un mortel bœuf, recevait ces hommages,
Il aurait aussi bien agréé des trois mages
L’encens, les présents,
Et des bergers les compliments.
L’engouement général avait l’heur de lui plaire.
(On est toujours flatté d’un succès populaire
Aussi retentissant.) Mais, par trop excessif,
N’ayant pas raison d’être il changea d’objectif.
Le dieu fut délaissé pour une blonde ânesse
Ressemblant trait pour trait à la fière déesse
Que Jupiter aimait. Cet idole à son tour
Céda le piédestal au triomphant vautour
Qui dut l’abandonner à messer Bertrand-Gille ;
Le singe y percha peu. L’engouement versatile
Ne prodigue ses fleurs guère plus d’un moment.
Les dieux remis à pieds s’exilaient tristement.
Médiocre écrivain, artiste, chef en vogue
Qu’il adore aujourd’hui comme roi souverain,
N’en soyez pas hautain, car un sort analogue
Vous attend dès demain.