L'Habit et l'Oreiller Barthélemy Imbert (1747 - 1790)

Un habit fastueux et d’ambre saupoudré
(C’était l’habit d’un petit-maître)
De la garde-robe tiré,
Sur un lit attendait son maître,
Qui, ce jour-là, courait un bal paré.
Avant que par la voix de l’agile sonnette,
Monsieur, dès longtemps éveillé.
Eût annoncé l’instant de sa toilette,
Et qu’il lui plût d’être habillé.
Que fit l’habit ? Ennuyé, solitaire.
Sur ce lit ne sachant que faire,
Il se mit lors à babiller.
Babiller ! Quoi ! tout seul ? Non, avec l’oreiller.
“Ça, lui dit-il, jasons, mou frère,
Parlons de notre maître : Ah ! le joli seigneur !
C’est tous les jours jouissances nouvelles.
Je le suis eu tous lieux. Témoin de son bonheur,
Je puis en donner des nouvelles.
De toilette en toilette, il faut voir chaque jour
Son agréable suffisance,
En folâtrant, parler d’amour.
Étalant aux soupers ses airs, son élégance,
Il est toujours joyeux, tendre et vif tour à tour,
Parle toujours, jamais ne pense.
Voilà ce qui s’appelle un seigneur d’importance.
Un véritable homme de cour.
Pour lui, Paris est la Cocagne.
Mais j’aime sa gaité surtout.
Qu’il joue, il n’est jamais à bout ;
Quand il perd, on dirait qu’il gagne.
Cet homme a le cœur net, ou je perds mon honneur
Et s’il n’a trouvé le bonheur.
Il est bien, ma foi, sur la route.
— Oui, ton récit est fidèle, sans doute.
Dit l’oreiller, plus instruit, moins parleur ;
Je veux t’en croire, mais écoute.
Explique-moi ceci : Quand, le matin, bien las,
Près de son lit on le ramène,
Il se couche, et ne s’endort pas.
Il soupire, gémit, s’agite, se démène,
Je suis toujours ou trop haut ou trop bas ;
Tantôt il sort du lit, puis, à grands pas,
Seul, dans sa chambre, il se promène ;
Et même un jour de lansquenet.
Tempêtant, jurant de plus belle,
Entre nous, j’ai vu sa cervelle
Presqu’à deux doigts du pistolet.
Hem ! qu’en dis-tu ! — Que l’apparence est vaine.
Que son témoignage est trompeur.
Qui veut bien connaître un acteur
Doit l’observer hors de la scène. »





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