L'Esprit et l'Habit Fortuné Nancey (? - 1860)

Un vieux renard, autrefois la terreur
Des poulaillers du voisinage,
S'était vu contraint par son âge
A renoncer au métier de chasseur.
Mais bon pour le conseil, et dit-on par nature,
Rêvant toujours la guerre et l'aventure,
Il aimait à former tous les jeunes larrons,
Qui se pressaient en foule à ses leçons.
Mais si le vieux rusé pour eux faisait école,
En grand seigneur il tenait cour aussi ;
Car vieux et riche, à ses frais, Dieu merci,
Trouve aisément flatteur qui le console.
Aussi de visiteurs chez messire renard
Voyait-on salle bien garnie :
Notons enfin qu'un singe était chez le vieillard
Grand maître de cérémonie.
C'était lui qui., renchérissant
Sur le bon ton et les bonnes manières,
Faisant gambades, grimaçant,
Du logis à chacun soulevait les portières.
Or, au milieu de cette cour,
Voici que se présente un jour
Le paon au superbe plumage,
Au col d'iris, aux reflets azurés,
Comme aux yeux brillants et dorés.
Grande rumeur ; aux pieds du nouveau personnage
Notre singe de se jeter.,
Et courtisans de l'imiter.
Jamais on n'avait vu de plus riche parure,
Et l'assemblée en ce premier moment
Par un doux et flatteur murmure,,
Témoignait son ravissement.
Mais bientôt les discours renaissent ;
On s'interroge, et du nouveau venu,
Sur tout : affaires, bourse et traitants qui s'engraissent,
Il faut que l'avis soit connu.
De notre paon ce n'était pas l'affaire ;
Il pose bien, mais parle peu ;
Et sa sotte ignorance à chacun sut déplaire.
Enfin prenant congé, dans un superbe adieu,
Secouant à plaisir sa robe diaprée,
Le voilà qui se tourne et retourne en tous sens,
Attendant comme à son entrée
Les saluts de maints courtisans.
Mais cette fois ce n'est plus même chose,
Et nul hommage ne le suit.
Lors, au singe qui seul gravement le conduit,
Il se bazarde à demander la cause
De ce pénible changement,
Qui de l'entrée à la sortie
Contraste si visiblement.
Mais le singe, on le sait, a bonne répartie.
Or, monseigneur,' dit-il, sachez-le bien ;
Pour qu'à chaque mérite ici bas tout réponde,
Que l'or et le savoir trouvent chacun le sien ;
On reçoit l'homme dans le monde,
Sur l'habit dont il est paré ;
Mais ce dont il faut vous instruire,
C'est que l'on doit le reconduire,
Suivant l'esprit qu'il a montré.

Livre I, fable 1




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