Un fabuliste, qui sait tout,
Selon la foi commune,
Ignore une chose surtout,
C'est... le chemin de la fortune.
Aussi, court-il à pied,
Dans ses savants voyages,
Et dîne... à l'ombre des bocages.
Il a, de l'homme, étudié
Les mœurs, les caractères,
Et lui donne, en ami, des avis salutaires.
Un de ces amateurs de l'apologue, un jour,
Dans un bois assis, sur le sable
Traçant une méchante fable,
Se vit incontinent bloqué tout à l'entour
Par tous les animaux du monde ;
A deux pieds môme, il en vit quelques-uns
Qu'on connaît au teint blême, aux airs faux et communs.
Tous étant rangés à la ronde,
À la surprise de l'auteur,
Maître singe prend la parole :
« Le voilà donc, dit-il, ce calomniateur,
Qui chacun à part nous contrôle !
Parle, enfin, que t'avons-nous fait ? »
Et l'âne ajoute : « Écoulez ce noir trait :
Il a médit de mes oreilles,
Et je prouve le fait.
— Selon lui, je serais jalouse des abeilles,
Dit la fourmi, d'assez mauvaise humeur.
— Et moi donc, maudit fabuliste,
Dit le cheval plein de fureur,
Tu m'as peint comme un égoïste ! »
Ours, loup, tigre, éléphant,
Toute cette sauvage engeance,
Cric à la fois, haro ! sur notre auteur tremblant,
Et chacun demande vengeance.
« Amis, dit-il en se levant,
Je n'en voulais qu'à mes semblables
Je n'ai fait qu'emprunter vos noms,
Pour leur donner de modestes leçons.
Pardonnez-moi mes innocentes fables ;
Ah ! s'il s'en trouve une ou deux de passables,
Mes aristarques, plus que vous,
Vous vengeront... ils font honte à vos loups.
Mais pour ce petit livre,
Que je tremble de leur donner,
Offrez-leur un exemple à suivre :
Apprenez-leur à pardonner. »