Depuis quelque temps dans le monde
On n'entend plus parler que des esprits frappeurs,
Sauteurs, danseurs, escamoteurs,
De mille objets divers invisibles moteurs.
Tantôt sur une table ronde
Des personnes posent la main,
Et la table se meut soudain,
Frénétiquement entraînée
Dans une valse forcenée.
Une autre fois désirez-vous
Vous informer d'une personne absente ?
Aux questions qu'on lui présente
La table répond par des coups ;
Tant pour oui, tant pour non ; on les explique tous.
Quand l'esprit disparaît, n'est- il pas équitable
Qu'on en retrouve dans la table ?
C'est notre opinion, à nous.
Dans l'univers entier, il n'est pas un seul homme
Qui n'ait ouï parlé d'un certain monsieur Home,
De race américain, sorcier de son métier.
Un jour dans le noble quartier
Qu'habitent le marquis, le comte et la duchesse,
On voulut éprouver sa merveilleuse adresse.
Le cercle était nombreux ; grands seigneurs et prélats,
Femmes brillantes, magistrats,
Se trouvaient réunis. Alors le noble maitre,
Voulant complaire à ses élus,
Demande au medium s'il ferait bien paraître
Ce que chacun aime le plus.
Le sorcier se recueille et son œil s'illumine.
Bientôt on voit descendre à travers les plafonds
Des croix, des mitres, des cordons,
De la dentelle et de la crinoline,
Des jupons Malakof, de la poudre de riz,
Quelques aides-de-camp, mais très-peu de maris.
Et chaque objet allait se rendre à son adresse,
Lorsque, de son mari voyant la maladresse,
La maîtresse aussitôt demande une polka.
Soudain sur le clavier une main invisible
Joue avec un entrain fougueux, irrésistible,
Quadrille des lanciers, redowa, masurka,
Valse à deux temps et cætera.
Alors une ardeur infernale
Transporte tout le monde, et l'aube matinale
Les trouve encor dansant.
On dit que les esprits
Quand ils n'ont pu trouver à se loger dans l'homme,
Errent inoccupés ; et comme
Beaucoup de gens n'en ont pas pris,
Il en est maintenant beaucoup de disponibles,
Qui font d'excellents tours en restant invisibles.
Mais pour les faire agir, ces esprits merveilleux,
Il faut savoir se mettre en rapport avec eux ;
C'est le secret des gens habiles,
Qui surprennent les sots tout en se moquant d'eux.
Entoustemps, en tous lieux l'homme est toujours le même ;
L'impossible ou l'absurde est surtout ce qu'il aime.
Parlerez- vous raison à ce distrait ? Hélas !
Il ne vous écoutera pas.
Puisque ce grand enfant ne croit que l'incroyable,
Présentons-lui le vrai sous la forme de fable.