Le Poisson d’Avril Barthélemy Imbert (1747 - 1790)

Pour corriger, il faut s’y prendre bien :
Sans cet art-là, beaux discours n’y font rien ;
Rien n’y fait la douce éloquence;
Et, pour réussir, je prétends
Que savoir le faible des gens
Sera toujours la suprême science.
Que d’hommes à qui la raison
Ne peut jamais rien faire entendre !
J’en connais un; le brusque-t-on,
C’est un lion : Sachez le prendre
Par l’endroit faible, il deviendra mouton.
L’entêtement, peut-être, n’est pas vice ;
Mais quel défaut! Un Picard entêté
Était malade, et l’exercice
Devait lui rendre la santé.
Mais comment faire? Il avait projeté
Par goût, peut-être par caprice,
De ne bouger. Or, un projet,
Une fois entré dans sa tête,
Plus n’en sortait.
« Je l’ai mis là, répondait-il ; c’est fait.
Le médecin n’est qu’une bête. »
Que répondre à cela? Lecteur,
Il faut vous dire que notre homme
Était le plus friand mangeur
Qu’on eût vu de Paris à Rome,
Friand surtout de fin poisson.

Un jour arrive en sa maison
Un inconnu qui lui dit à l’oreille :
« Monsieur, grande nouvelle !
On pêche près d’ici
Un gros poisson, inconnu jusqu’ici,
Mais d’un goût!… C’est une merveille !
Jamais poisson n’eut une chair pareille.
—Ah ! Dieu ! pourriez-vous bien, dit-il, m’en procurer?
— La chose est un peu difficile.
Il en vient ce mois-ci, dit-on, mais dans la ville
Il faudrait l’empêcher d’entrer ;
Car, s’il entre une fois, c’est une a il aire faite,
Les princes en feront l’emplette;
Le roi peut-être aussi va-t-il s’en emparer.
— S’en emparer! ô ciel ! comment s’y prendre ?
Quel stratagème?… — Il en est un certain ;
C’est d’aller vous-même l’attendre.
— Ou l’attendre? — Sur le chemin.
— Oh ! j’irai. Quant vient-il ? — Demain
Après demain;… quant au jour, on l’ignore :
Mais c’est dans ce mois. — Oh ! j’irai,
Et, palsambleu ! j’en goûterai. »
Il tint parole : dès l’aurore,
Au-devant du poisson il court le lendemain.
Avril était venu, la feuille allait éclore;
Les champs n’étaient point sans appas;
Mais de leur renaissance il ne s’occupait guère;
Ce n’étaient point là ses affaires ;
C’est le poisson qu’il appelle tout bas.
Et le poisson n’arrive pas.
Suivant toujours la même route.
Le jour d’après, dès le matin.
Il vient encore; encore en vain;
Deux fois, trois fois de même : il enrageait sans doute ;
Mais l’espérance abrégeait le chemin.
Longtemps ainsi dura la promenade;
Pas le moindre poisson! Mais l’exercice enfin
Avait guéri tout à fait le malade;
Quand sur sa roule un jour parut son médecin.
«Oh! oh! dit celui-ci, vous avez bon visage!
Qu’attendez-vous sur ce rivage?
— Un poisson fort exquis, dit-on;
Mais on l’aura mangé ; je commence à le croire.
— Un poisson? j’en connais l’histoire :
C’est un poisson d’avril; il est de ma façon.
Vous ne m’en voudrez point, j’espère,
Pour vous l’avoir servi; car c’est par ce mets-là
Que votre guérison s’opère.»
Du poisson il se consola :
«Grand merci de ce bon office,
Lui dit-il, sans cet artifice,
On eût en vain tenté ma guérison.
Je sens que l’homme, en sa vieille saison,
Est souvent un enfant, qu’il faut tromper de même .
El qu’un innocent stratagème
Peut sur lui plus que la raison.»





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