Les Pois cuits Pierre Bergeron (1787 - 18??)

Deux normands avaient fait le vœu
D'aller visiter le saint lieu,
Non pas à cheval, en voiture,
Mais à pied, et, chose plus dure
Que l'on croira moins volontiers,
Avec des pois dans leurs souliers.
Voilà nos pèlerins en route.
A peine ont-ils fait quelques pas,
Qu'à la gêne, ainsi qu'on s'en doute,
Leurs pieds ne résistèrent pas.
Cédant au tourment qu'il éprouve,
Notre couple déjà de son vœu se repent,
Et se traîne clopin- clopant
Vers le premier gîte qu'il trouve.
Là s'asseyant, se délassant,
Au par-dessus réfléchissant,
Chacun des pèlerins en lui-même calcule
Ce qu'il devra souffrir d'un vœu trop imprudent,
Pour ne pas dire ridicule.
On voudrait bien un peu l'adoucir ; cependant
On se sent retenu par un secret scrupule.
Nos gens se regardaient sans proférer un mot,
Quand soudain l'un des deux avise
Des pois qui cuisaient dans un pot.
Voilà pour réparer, dit-il, notre sottise ;
Car des pois, cuits ou crus, sont des pois , n'est- ce pas ?
Mettons-en donc, mon cher, de cuits dans nos chaussures.
Cet innocent moyen nous tire d'embarras.
Cela fait, se flattant de n'être point parjures,
Nos deux normands, leur bourdon à la main,
Poursuivent gaîment leur chemin.

Ce que la conscience exige
Ainsi nous gêne quelquefois ;
Quiconque avec elle transige,
Ressemble au pélerin qui fait cuire ses pois.

Fable 37




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