Le Jury chez les Animaux Pierre Bergeron (1787 - 18??)

Un jour les animaux, pour juger les coupables,
Instituèrent le jury,
Croyant que l'innocent serait mieux à l'abri
Contre des erreurs déplorables.
Je n'oserais jurer que leur raisonnement
Fût pourtant des plus raisonnables ;
Mais tel était leur sentiment.
De l'aveugle hasard le bizarre caprice,
Sur lequel parfois nous comptons,
Désignait souvent des moutons
Pour organes de la justice .
Or, ces animaux, bonnes-gens,
Compatissants de leur nature,
Quand ils jugeaient la loi trop dure,
Trouvaient moyen d'être indulgents.
Un chat avait volé, c'était son habitude ;
Partant, le châtiment devait être plus rude ;
Nos moutons toutefois se montrèrent fort doux.
« - Ce chat est criminel, nul de nous ne le nie ;
Mais c'est pure monomanie :
Il faut avair pitié des fous. »
Un tigre avait tué son père ;
On le tire de son repaire,
On le conduit au tribunal.
Nos jurés sont instruits des détails de l'affaire,
Elle était on ne peut plus claire ;
C'est mal, se disent-ils, et même c'est très-mal ;
Mais son père a reçu de lui la sépulture,
Il n'en a pas fait sa pâture ;
Ce n'est pas tout-à-fait un méchant animal.
La femelle d'un ours reposait endormie.
Celui-ci l'étoufse en ses bras,
Si bien qu'elle ne le sent pas.
De nos féaux jugeurs voyez la bonhomie !
« L'ours a donné la mort, et c'est constant en fait ;
Mais une mort et si douce et si prompte,
Que, dans notre verdict, il faut en tenir compte. »
Ils en tinrent compte en effet.

Or ces raisons si concluantes
Et bien d'autres qu'ici je pourrais rassembler,
C'est ce qu'ils n'ont pas craint cependant d'appeler
Circonstances atténuantes.

Fable 36




Commentaires