Un jour les animaux sauvages,
Voulant imiter les humains
Dans leurs politiques desseins,
S’assemblèrent sur les rivages
D’un fleuve profond,
Au pied d’un rocher solitaire
Où l’aigle avait bâti son aire,
Afin de discuter à fond
S’il était opportun d’élire pour la vie,
Ou pour un terme seulement,
Non pas un roi, — cela vraiment
Sent trop la tyrannie, —
Mais un bon Président
Qu’on traite comme un hôte,
Que l’on met, que l’on ôte
Avec un zèle ardent.
On s’entendit tout de suite :
Le président élu
Resterait président durant bonne conduite.
Le décret fut lu,
Et chacun l’approuva sur l’heure à sa manière.
— Qui sera chef ? dit l’ours sorti de sa tanière
Avec l’espoir au cœur.
— Ce sera le vainqueur
Dans une joute,
Et sans doute,
Sire, ce sera vous, dit le renard malin.
— Mais qu’allons-nous tenter ? quel combat ? quelle lutte ?
Sera-ce le plus fort, sera-ce le plus fin
Qui régnera sur nous après cette dispute ?
Reprit le loup-cervier.
— Que se soit le premier
Qui touchera la rive,
Dit d’une voix craintive
Le timide castor.
— Tu ne penses qu’à toi, malheureux amphibie !
Renonce à ta lubie ;
Pour cette course-là tu peux attendre encor,
Réplique durement une méchante hyène.
— Pas de gêne ;
Que chacun, mes amis, s’exprime à sa façon :
Il faut donner à l’homme une bonne leçon,
Dit un grand orignal en branlant sa ramure.
Un long murmure
Accueillit ce discours en trois ou quatre mots.
Les prétendants allaient se montrer aussi sots
Que les hommes eux-mêmes
En ne s’entendant point sur l’objet du combat,
Et le débat
Commençait à traîner en des longueurs extrêmes,
Quand un aigle orgueilleux,
Ouvrant ses larges ailes,
Du haut du rocher sourcilleux
Les plaisanta sur leurs querelles.
— Nous sommes bafoués par cet impertinent,
Dit un jeune lion, secouant sa crinière,
Vengeons-nous donc incontinent
En allant le chasser de sa retraite altière,
Et le premier rendu, —
Que ce soit entendu, —
Sur son front anobli mettra le diadème.
Aussitôt dit aussitôt accepté.
Chacun voulant saisir l’autorité suprême,
S’élance avec impétuosité
À l’assaut de la côte
Abrupte et haute.
Mais que de vains efforts ! que d’efforts malheureux !
Les pieds et les genoux des plus aventureux
Se déchirent sans cesse aux angles de la roche ;
Au moment qu’il approche,
Hélas ! plus d’un héros
Tombe et se rompt les os.
Cependant un serpent se glisse avec prudence
Parmi la mousse dense
Et dans les fentes du rocher ;
Il passe à travers les fascines,
Il réussit à s’accrocher
Aux rameaux, aux racines,
Arrive le premier sur les âpres sommets,
Et, pour se mettre en règle,
Jette le nid de l’aigle
Sur ses nouveaux sujets.
Citoyens à la forte trempe
Qui voulez noblement atteindre le pouvair,
Faites place à l’homme qui rampe
Et monte sans se faire voir !