Le Chameau et les bâtons flottants Charles Beaulieu (19ème)

Un apprenti chasseur apercevant au loin,
Un gibier, qui pour lui semblait de bonne prise,
Accourt sur son passage ; on pense avec quel soin,
Poser ses lacs ; mais quelle est sa surprise,
Quand l'animal fut près, de voir qu'il n'était pas
De taille pour l'engin qu'a placé mon jeune homme ;
C'était un gibier monstre, et que chameau l'on nomme.
Puisque nous causons embarras
Sur ce sujet citons un autre cas,
Qui peut aussi prouver que pour plus d'une cause
Voir de loin ou de près n'est pas la même chose.
Un marinier, au loin, voyant de son bateau,
Certains débris de bois qui s'en allaient sur l'eau,
Dire quel bois c'était est chose superflue :
Grâce au lointain, abusé par la vue,
Et prenant ces débris pour de minces bâtons,
Il les laisse passer. Plus bas, un sien confrère,
Mais plus à l'œil, saisit ses avirons,
Court sus ; pour lui ce fut une très-bonne affaire,
Car ces débris étaient d'énormes madriers,
Qu'il vendit sous les yeux des autres mariniers.
Tel a dans son endroit certaine renommée,
Qui, jamais, non plus que son nom,
N'a franchi, quoique bien prônée,
Les limites de son canton.

Qui n'a qu'un vain talent, qu'un esprit sans portée,
A ces gens-là ceci conviendrait bien.
De près c'est quelque chose, et de loin ce n'est rien.

Livre IV, fable 10




Commentaires