Trois ou quatre chameaux, grands seigneurs d’Arabie,
Poux se montrer de cour en cour,
Voyageaient loin de leur patrie.
Un chat voyageait à son tour,
Et pour leur tenir compagnie.
Raton fort sot, partant fort vain,
De n’être né qu’un chat avait le cœur chagrin,
Courtisait nos seigneurs, près d’eux passait sa vie,
Humblement à leurs pieds poussait la flatterie,
Se frottait tout autour fort amoureusement,
Le tout pour un coup d’œil, pour des mépris souvent.
Leur ressembler est sa manie.
Le col en S et l’échiné arrondie,
Il marchait en chameau de fort bonne maison.
Raton pensait vraiment qu’à son port, à sa mine,
L’univers le croirait de race caméline :
Il croit bientôt en être ; il a leur air, leur ton.
On entre en une ville étrangère et lointaine :
Les gens, un peu badauds, accouraient par centaine.
On voit, on a bientôt tout vu.
L’ennui gagnant déjà, le chat fut aperçu ;
Le chat haut sur ses pieds, le chat au dos bossu,
Le chat enfle son cou, son allure est hautaine.
— Ah ! voyez donc, voyez ; Raton fait le chameau.
— Je le fais ? Taisez-vous, j’en suis un et très beau.
Et puis il se pavane; on le raille, on le hue :
Il va son train, tient bon ; on rit, il continue ;
Quand des chiens querelleurs en ce lieu s’amassant,
Choqués de son maintien, houspillent dans la rue
Son éminence en feu qui maugrée et qui sue ;
Et tout à coup Raton s’aplatissant,
Dans un trou fort étroit disparaît en glissant.
L’histoire finit là ; mais certain interprète,
Fort versé dans l’arabe, assure ce qui suit :
Quand tout fut calme, et lorsqu’il fit bien nuit,
L’oreille et l’œil au guet, Raton sortit sa tête,
Lécha son poil, ajusta son habit,
Rejoignit nos chameaux, race bien plus honnête ;
S’excusa d’arriver en désordre un peu tard ;
D’un air fort dégagé les flatta, leur fit fête :
A sa déconvenue, en riant, on prit part ;
Et Raton fut heureux : il obtint un regard.