Lecteur, j'arrive d'un pays
Où les Renards faisaient tant de ravage,
Que, par un arrêté fort sage,
Monsieur le sous-préfet mettait leur tête à prix.
Les chasseurs se voyaient en foule ;
On entendait les chiens, les cors ;
Si bien qu'à tout Renard il ne restait alors
Que des coups de fusil et pas la moindre Poule.
Que faire ? On consulta l'ancien de ces cantons,
Fameux Renard à trois chevrons,
Dont la moustache était blanchie.
Nous quitterons bientôt cette plaine appauvrie,
Dit-il, mais demeurez encor quelques moments ;
J'irai choisir pour vous, dans vingt départements,
La plus douce retraite, au péril de ma vie ;
Heureux si je mourais en servant la patrie !
Il part, après mille serments,
Suivi de sa famille en ce chanceux voyage.
Au bout d'un long pèlerinage,
Ils trouvent un lieu sûr, terrestre paradis,
Où la volaille confiante
Leur paraît assez abondante.
Là, dans un bon terrier, à l'ombre des taillis,
Le matois établit ses fils ;
Plus tard, en voisinant chez la classe opulente,
Il sut faire valoir sa fille avec tant d'art,
Qu'elle épousa bientôt un aimable Renard,
Qui possédait au moins trois cents poules de rente.
Voilà de nos honnêtes gens,
Bien vus de leurs nouveaux parents,
La fortune à peu près certaine.
Le prétendu libérateur,
Qui dans le fond mourait de peur
De voir des survenants partager son bien-être,
Se hâte alors de reparaître
Auprès de ses amis demeurés dans le deuil.
Il vient au milieu d'eux, un emplâtre sur l'œil ;
Il boite ; sa fourrure en désordre et salie
Prouve assez les dangers qu'il doit avoir courus.
Si je ne vous ai pas à mon gré secourus,
Leur dit-il, accusez la Fortune ennemie,
Dont j'ai j pour vous servir, épuisé le courroux.
N'ayant rien découvert, ni pour moi, ni pour vous,
Isolément, je crois, il faut que chacun vive,
Et se garde d'aller au pays d'où j'arrive ;
On y rencontrerait la mort ou le malheur.
Adieu— nous nous verrons dans un monde meilleur.
L'auditoire, touché du récit pathétique,
Allait se retirer ; mais, avant le départ,
D'un plat de venaison qu'ils avaient mis à part
Pour vivre en un moment critique,
Notre héros, bien restauré,
D'une plume de Coq fut en sus décoré
Pour son beau dévoûment à la chose publique.
Je sais d'autres Renards qui, par un faux éclat,
Nous trompent sur leurs caractères ;
On les croit dévoués aux affaires d'Etat,
Quand ils ne font jamais que leurs propres affaires.