La Colombe et le Moineau Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

Mère tendre, épouse fidèle
Une colombe en couvant ses petits,
Leur roucoulait ces mots : » Paix donc, paix, mes amis !
Pourquoi gémir, battre de l'aile ?
Votre père va revenir
Guidé par l'amour et le zèle ;
Et dans mon sein je vais tous vous unir !
C'est, pour ses enfants, pour sa femme,
Qu'il fend les airs avec rapidité :
Par les frimas il n'est point arrêté ;
Il brave tout ; sa force est dans son âme.
Ah ! fuyez, oiseaux ravisseurs !
Il vous affronte et moi, je vous redoute :
Impitoyables oiseleurs,
S'il vient de ce côté, prenez une autre route.
Je frémis... Dieu plein de bonté,
A qui les Pigeons obéissent,
Pourquoi faut-il que les chagrins flétrissent
La plus pure félicité ?
Un Moineau, par hasard, écoutait l'indiscrète ;
C'est un moineau de cour, gai, frivole, étourdi,
Scrupuleux sur le ton, choisissant sa retraite,
Sous les bosquets de Chantilly,
Et faisant, selon l'étiquette,
Tous les voyages de Marli.
En minaudant il aborde la Belle :

A quoi vous servent tant d'appas,
Lui dit-il ? la dupe est nouvelle :
Sans cesse des terreurs et d'ennuyeux hélas !
D'un Ménage bourgeois essuyer l'embarras,
Et s'enterrer.... dans un nid d'Hirondelle !
La sotte chose et le vilain tracas !

SI de ces soins si doux vous faites peu de cas,
Dit la Colombe, au moins laissez-les prendre aux autres.
Ces amusements sont les nôtres,
Ils nous suivent jusqu'au trépas ;
Ils sont plus vrais et plus vifs que les vôtres.
Vous aimez-vous long-tems ? – Ce que dure un désir.
Vers le bonheur poussé par la folie,
On se rencontre et bien fou qui se lie :
Nous mesurons l'Amour à l'Eclair du plaisir. –
Ce que j'ai craint, votre discours l'atteste : –
Apparemment vous n'avez point d'amis ? –
Quelques sociétés ! – Nul soin de vos petits ? –
Nous les faisons, ... et nous moquons du reste. –

REBUT de la Nature, opprobre de l'Amour,
Dans quel abîme affreux ton ivresse te jette !
Eprouvant le remords et l'ennui tour-à-tour,
Si la disgrâce vient, un jour,
Qui te suivra dans ta retraite ?
Quand les Cieux couverts de frimas
Reprendront un aspect plus sombre,
Tu verras passer comme une ombre,
Ces faux plaisirs que ton cœur ne sent pas !
Aucun ami qui te console,
Qui vienne en secret ranimer
Ce cœur insensible et frivole,
Ce triste cœur incapable d'aimer ;
Point d'épouse, dont la tendresse
Te réchauffe alors dans son sein ;
Et point d'Oiseaux jaseurs, dont le folâtre essaim,
Par les jeux de l'enfance, amuse ta vieillesse.
Au creux de quelque roche à toi-même borne,
Ne possédant rien sur la terre,
Loin du bonheur, tu vivras confiné
Au fond de ton nid solitaire,
Pour y périr abandonné.

Vous qui du sentiment dédaignez les faiblesses,
Votre courage est-il bien affermi ?
Cent fois trompé, vous aurez cent maîtresses ;
Mais vous mourrez sans un ami.

Livre I, fable 12




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