La Fortune, l'Amour et le Destin Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

De l'Univers le grand Arbitre,
Ce Dieu qu'on appelle Destin,
Lassé de tenir son Registre,
De peser chaque sort humain
Et de tout noter par chapitre,
Voulut se reposer, s'amuser a son tour ;
Et, se moquant de nos plaintes secrètes,
Chargea la Fortune et l'Amour,
De rédiger les terribles tablettes
Que n'éclaire point l'œil du jour.

VOILA donc nos deux Secrétaires,
Feuilletant, à l'envi, les archives d'airain ;
Et, comme ils sont l'un à l'autre contraires,
Vexant ce globe-ci, cahoté sous leur main.
Si la Fortune, moins cruelle,
Avait inscrit les noms de ses heureux amans ;
Bientôt son Collègue infidèle,
A son insu, prenant son temps,
Les rayait d'un coup de son aile ;
Et l'autre déité, par un juste retour,
Interposant une feuille nouvelle,
Supprimait tous les noms qu'avait écrits l'amour.

Chers amis, prenons patience ;
Dans tous les tems, l'homme ainsi fut mené :
Par le Destin il est abandonné ;
C'est un trône vacant, si j'en crois l'apparence.
De notre globe infortuné
Deux étourdis ont toujours l'intendance :
Aussi va-t-il, comme il est gouverné,

Livre III, fable 13




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