La Mule et la Pantoufle du Mufti Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

Une Mule bien élégante,
Faite exprès pour un pied Chinois,
Près d'une Pantoufle imposante,
Déraisonnait ; oh ! je le crois :
Qu'importe ? elle était amusante.

Où donc, lui dit-elle gaîment,
Ai-je vu ta grave éminence ?
J'ai de toi, je ne sais comment,
Quelque vague réminiscence –
Je chaussais jadis un Muphti.
Oh ! ta mémoire aide la mienne :
Je chaussais une Circassienne
Dont le pied était fort joli ;
Et j'en suis la preuve certaine.
Ce Muphti là, je m'en souviens,
Trois ou quatre fois par semaine
Avait de très-vifs entretiens
Avec sa douce anti-Chrétienne.
Sauf le respect de Mahomet,
Il venait souper avec elle,
Et mettait aux pieds de la belle,
Son cœur, sa pipe et son bonnet :
Voilà, selon toute apparence,
L'époque de la connaissance.
Oui, oui, je le croirais assez.
Plus d'étiquette, allons de compagnie ;
Le sacré brodequin et la Mule étourdie,
Se sont souvent entrelassés.

Livre III, fable 11




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