Dans un canton fertile un Pélican régnait,
Qui soir et matin se soignait
Par tendresse pour sa couvée ;
Aux oiseaux d'alentour il se montrait si doux
Que généralement de tous
Sa conduite était approuvée.
Maître d'un pâturage, absolument à lui,
Dont il se nourrissait et soulageait autrui,
Son plaisir le plus grand était d'en pouvoir faire :
Quand, par un accident difficile à prévoir,
Se croyant hors d'état de remplir son devoir
Du Bien qu'il possédait il voulut se défaire.
Plus d'un ami sincère eut soin de l'avertir
Qu'il pourrait par la suite avoir du repentir
D'abandonner son pâturage
Mais bien loin de changer de résolution
Il soutient que celui qui ne fait point l'ouvrage ;
N'en devait point avoir la rétribution.
Que pour être d'un bien le légitimé maître..
Il fallait le devoir au travail précédent :
Ce sentiment est beau ; mais tout beau qu'il puisse être
Je doute qu'il soit bien prudent.
Il jeta les yeux sur un signe
Pour qui sont estime éclatait ;
Et qui lui parût le plus digne
De posséder ce qu'il quittait.
Il se peut que le cygne ait un mérite extrême,
Et que le pélican ne pouvait mieux choisir ;
Mais le plus sensible plaisir
Est de pouvoir toujours faire bien par soi-même.
Note de l'auteur : Je sais, monsieur, que tout ce qu'il y a eu de siècle depuis Esope jusqu'à nous, l'ont tous estimé grand philosophe : mais je ne savais pas qu'il fût prophète et qu'il vous eût aperçu à travers l'espace de plus de deux-mille ans qui étaient entre vous et lui.