Les Caprices de la Fortune Edmé Boursault (1638 - 1701)

Autrefois à Memphis dans un temps de famine,
Un bon homme, mais pauvre et bien chargé d'enfants,
N'ayant pain, blé ni farine,
Voulut abréger ses ans.
Il s'arme d'une ficelle
Aussi grosse que le doigt,
Et va dans une ruelle
Où personne ne le voit.
Là dans le trou d'un mur d'une vieille masure.
Cognant un peu rudement,
A hauteur compétente et de bonne mesure
Pour le pendre proprement ;
Il voit avec une pierre
Tomber quelques pièces d'or,
Il les ramasse, les serre,
Examine l'endroit d'où sortait ce trésor,
Et dans un méchant pot de terre
Trouve mille pièces encor,
Ho ho, dit-il, je n'ai garde
De me pendre maintenant ;
Ce n'est plus moi que regarde
Cet attirail chagrinant.
Si quelqu'un le souhaite il est à son service ;
En la place de l'or je laisse le licou.
Cela dit, il s'en va, bénissant l'heureux tour
Qui le comble de joie et l'arrache au supplice,
A peine est-il sorti qu'un vieux ladre, un vieux fou,
Qui ne mangeait du main que le quart de son sou
Tant il avait le cœur infecté d'avarice ;
Vient chercher son trésor et ne le trouve plus.
Surpris, désespéré, confus,
En imprécations sa fureur se déborde ;
Et las de vivre après ce guet-apens
À point nommé rencontrant une corde
Il la saisit, se l'ajuste et le pend.
Quel bizarre destin ! L'un qui cherche à la pendre
Trouve ce que jamais il n'aurait attendu ;
Et l'autre au contraire est pendu
Lorsqu'il s'y devait moins attendre.



Note de l'auteur : Feu monsieur le Duc d'Orléans, Gaston de France était si jaloux des droits attachés à sa qualité, que sur cet article il ne faisait grâce à personne.

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