La Lune et sa Couturière Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

« La Fable, un jour, dit à la Vérité :
Croyez-le bien, ma sœur, trop de sincérité
Rebute l'homme et l'effarouche.
Vous l'abordez toujours le reproche à la bouche ;
Il vous fuit, et jamais n'écoute jusqu'au bout
Vos discours, fort peu de son goût.
Vous savez quelle est ma méthode ;
Veuillez permettre encor qu'une fois, à ma mode,
Je le corrige, en offrant à ses yeux,
Sous le plus bizarre costume,
Son portrait ressemblant. D'un regard curieux,
Il viendra, selon sa coutume,
Considérer ses traits, que des plumes d'oiseau,
Ou d'un quadrupède la peau,
Déguisent d'étrange manière ;
Et, se reconnaissant, j'espère,
Il rougira de sa difformité.

- Eh quoi ! reprit la Vérité,
N'avez-vous pas déjà fait ce portrait, ma chère,
Beaucoup mieux qu'aujourd'hui vous ne pourriez le faire ?
Jeune et jolie alors, c'était votre bon temps ;
Vous avez peint l'homme d'après nature.
Un bon portrait suffit ; à quoi bon, tous les ans,
Se remettre en frais de peinture ?
- Pour être fidèle à mon nom,
Dit la Fable, « je veux, par un court apologue,
Vous répondre ; il pourra me servir d'épilogue : »

Dans sa coquette humeur, la lune, un jour, dit- on,
Fit venir une couturière :
« Je veux, » dit-elle à l'adroite ouvrière,
Une robe du meilleur goût.
Songez qu'elle doit être en tout point convenable ;
D'une couleur à mon teint favorable,
Et faite à ma taille surtout. »
- Reine des nuits, reprit l'artiste habile,
La tâche est par trop dissicile,
Je n'en saurais venir à bout.
Tantôt vermeille, tantôt pâle,
Et semblable au rubis, ou pareille à l'opale,
Vous nous charmez toujours également.
Mais, tour à tour, petite ou grande,
(Svelte, grasse, échancrée, ou ronde entièrement,
Quelle couleur, je le demande,
Assortir à ce teint qui change chaque nuit ?
Et, quel que soit mon zèle extrême,
Prendrai-je mesure, avec fruit,
Sur une taille, hélas ! qui n'est jamais la même,
Et que le lendemain détruit ?
Pour réussir, ajouta-t-elle,
Madame, il faut, chaque matin,
Prendre une autre mesure, et qu'on vous fasse, enfin,
Pour chaque nuit, une robe nouvelle.

J'en dis autant de l'homme, et ses vices divers,
Ses ridicules, ses travers,
Selon le temps, le lieu, l'individu, varient,
Se transforment, se modifient.
Comment ne faire qu'un portrait,
Un dessin ressemblant, durable,
D'un sujet aussi variable !
Il y faut chaque jour retoucher quelque trait.
Cent esquisses déjà grossissent ce volume ;
Que de sujets heureux encore j'entrevois !
Mais je vieillis, ma sœur ; j'ai beau tailler ma plume,
Je n'écris plus comme autrefois ;
L'esprit baisse, et, malgré ce qui me reste à dire,
Je serre mes pinceaux, et je suspends ma lyre. »

Livre V, fable 20




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