Dans un lieu retiré de ce bois solitaire,
Où souvent j'épiai maint animal parlant,
Près d'une chute d'eau couché nonchalamment
J'essayais de trouver la parure légère
Que, depuis La Fontaine, on exige aujourd'hui
Sans pitié, dans la fable enfant gâté par lui.
Je rêvais, choisissais, rejetais ; et ma tête
Agitée, échauffée, en proie à la tempête
Ne me fournissait rien. Des muses mécontent,
Je maudissais les vers et mon faible talent,
Quand soudain à mes yeux, ô majesté suprême !
De la fable apparut la Déesse elle-même.
« À quoi bon, écolier, dit-elle avec douceur,
D'un travail sans objet t'imposer la rigueur ?
La vérité, sans doute, a besoin que la fable
L'adoucisse souvent par un récit aimable ;
Mais celle-ci, crois.moi, ne demande jamais,
Pour captiver l'esprit, que ses propres attraits.
Tu peux, sans m'offenser, en bannir l'harmonie,
Si tu sais lui prêter les charmes du génie ;
Sois poète, fort bien, mais par l'invention,
Historien aussi, mais par l'expression ;
Que ta morale soit celle d'un philosophe. »
Stupéfait, enchanté d'une telle apostrophe
J'allais répondre, mais... la muse disparut.
« Voudriez-vous, Monsieur, tout de bon qu'on vous crût ?
Déjà me dit peut-être un censeur intraitable,
Votre excuse, entre nous, est vraiment pitoyable ;
Du moins avec plus d'art cherchez à nous tromper,
Dans vos propres filets sans vous envelopper. »
A merveille, lecteur. Eh bien, c'est une ruse
Qu'à dessein j'employais ; je n'ai pas vu de muse
Je contais une fable avec simplicité,
Et vous-même en tirez cette moralité : »
Les hommes en tous temps, sous de divins auspices
Veulent mettre à couvert jusques à leurs caprices.