La Tortue et le Lièvre Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

Le lièvre et la tortue en un champ devisaient,
Par un beau jour ; tous deux causaient, jasaient ;
C'étaient, on s'en souvient, de vieilles connaissances.
« - Que vous êtes heureux ! et quelles jouissances,
Dit celle-ci, j'éprouverais
Si par monts et par vaux, comme vous, je courais !
- Ma force est, » dit le lièvre, « aussi digne d'envie. »
La commère poursuit : « Mon cher, en vérité,
Pour avoir votre agilité,
Je donnerais la moitié de ma vie.
Malgré certain pari, je ne m'abuse point,
Et les Dieux m'ont traitée assez mal en ce point. »
- Vous voudriez, reprit l'autre, j'espère,
Avoir, surtout, mon heureux caractère.
Et ma valeur, dont vous ne parlez pas,
Mérite bien aussi qu'un peu l'on s'en étonne.
Tudieu ! je ne connais personne
Qui m'égale dans les combats !
Vous n'imaginez pas des prouesses pareilles :
Bien mieux qu'Achille je me bats ;
L'ennemi meurt d'effroi, rien qu'à voir mes oreilles,
Et César... Mais d'un chien j'entends, je crois, la voix,
Pardon. » Et le héros, détalant au plus vite,
Cherche un refuge dans le bois,
Abandonnant la tortue et son gîte.
Heureusement, ce n'était pas un chien,
C'était le vent, ce n'était rien.
Tandis qu'à fuir il s'évertue,
« - Vraiment, dit en riant notre bonne tortue,
Plus ou moins, nous sommes tous fous.
Si le Ciel de ses dons fut prodigue envers nous,
Nous dédaignons maint réel avantage
Dont il a fait notre partage ;
Mais, par cent propos superflus,
Nous cherchons à faire étalage
Des qualités qui nous manquent le plus. »

Livre II, fable 3




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