L'Escamoteur et le Brigand Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Certain escamoteur, revenant de la foire,
Joyeux et le gousset garni,
Contre le froid du soir d'un flacon prémuni,
Voyageait dans la forêt Noire.
Il y rencontre un apprenti
De Diavolo sacripanti,
Fameux brigand, dit la chronique :
- La bourse ! allons, pas de réplique !
- Voici, répond l'escamoteur,
Prends tout, ce n'est pas une affaire :
Tu viens à propos, mon compère,
La bourse est de quelque valeur.
Autant vaut qu'elle soit pour toi que pour un autre.
Tu me parais un bon apôtre,
Je veux te régaler, mon cousin le voleur.
Tiens, bois à ma santé le vin de cette gourde.
L'autre, ayant flairé le goulot,
Pour lever le coude aussitôt,
Ne se sentit pas la main lourde.
Pendant ce temps le tabarin
Lui reprit en un tour de main
Sa bourse d'abord, et puis celle
Du voleur il accapara
Presque sans y toucher. Notre homme était ficelle
Comme un fils de Cadet Rousselle,
Bons amis on se sépara.
Le brigand murmurait : C'est presque regrettable
De dépouiller un si bon diable,
Et le matois escamoteur
Riait tout bas de son voleur.

Entre le conquérant et le fin politique
La différence ainsi s'explique :
L'un vole, mais l'autre surprend,
Flatte, enivre et dépouille enfin le conquérant.

Livre II, fable 21


Symbole 21 :

Où ne règnent pas la justice et la bonté, règnent la violence et la ruse.
Dans la cité des hommes sans Dieu, le prince qui n’est ni un brigand ni un escamoteur, n’est pas un prince fort.
Pour gouverner les méchants, il faut opter entre le glaive de César et les réseaux de Machiavel.


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