On raconte qu'un homme avait la barbe bleue.
- Bien ! direz-vous, le conte est nouveau, Dieu merci.
Allez-vous nous parler aussi
De la gargouille et de sa queue ?
Comme vous on nous a bercés
De semblables récits, nous en avons assez.
Soit. Mais pour rajeunir cette gothique histoire
Je vais vous l'expliquer, et vous allez y croire.
Le géant barbe bleue est le dieu qu'ici-bas
Chacun se fait à sa manière.
(Du vrai Dieu je ne parle pas
J'attaque les faux dieux du profane vulgaire.)
Il dit à l'âme prisonnière :
- Voici la clef, mais n'ouvre pas.
Il parle ainsi, puis il s'absente ;
Et laisse l'âme impatiente
Seule, ainsi que Psyché, dans un palais charmant.
Bientôt vaillante et curieuse,
Et de l'arrêt fatal noblement oublieuse,
Pour calmer de son cœur le glorieux tourment,
L'âme ouvre la porte enchantée :
- Que voit-elle ? – D'affreux débris,
Des corps blessés, des cœurs meurtris,
Destinés au vautour du triste Prométhée.
La porte se referme et la clef dans ses mains
Retombe et reste ensanglantée,
Comme un remords caché sous l'orgueil des humains.
Le tyran démasqués revient ; l'âme tremblante
Est vouée à la nuit de la chambre sanglante.
Elle gémit et crie en se sentant mourir :
- Humanité, ma sœur, ne vois-tu rien venir ?
- Rien, que la route qui poudroie
Et la campagne qui verdoie.
La nature étrangère à l'homme criminel
N'a pas interrompu son sourire éternel !
Sur la victime enfin le coutelas se lève ;
Tout est perdu ! Non, car voici
Les deux vengeurs armés du glaive,
Ils frappent le bourreau ; l'âme leur dit merci.
Quels sont ces guerriers tutélaires
Qui renversent des dieux le noir épouvantail,
Et brisent de l'esprit les chaînes séculaires ?
- L'un c'est le vrai savoir, et l'autre le travail.
Symbole :
Se préserver des croyances puériles qui troublent la conscience et avoir surtout en horreur cette idée : que Dieu veut confondre la raison humaine et se trouve honoré par le préjugé de la folie, qu’il donne comme le sphinx des énigmes à deviner et qu’il tue ou torture à jamais ceux qui devinent et ceux qui, ne devinant pas, ne s’inquiètent pas de l’énigme, tandis que la raison suprême qui est en Dieu veut élever jusqu’à elle la raison de l’homme par la foi en sa justesse et en sa justice, le Dieu des sages étant la lumière des âmes généreuses et non la ténébreuse agitation des âmes lâches et serviles.