La Justice et l'Amour Éliphas Lévi (1810 - 1875)

La Justice et l'Amour ont tous deux un bandeau,
Et ne peuvent jamais s'accorder, même en rêve ;
Car pour brûler la loi, l'Amour porte un flambeau,
Et pour punir l'Amour, Justice porte un glaive.
Or, s'accusant un jour de haute trahison,
Tous deux vinrent plaider par-devant la Raison,
Et pour leur donner chance égale,
Dame Raison d'abord tous deux les désarma,
Dans un cercle les enferma ;
Puis, prenant de Thémis la balance fatale,
Elle mit d'un côté les tables de la loi,
De l'autre de l'Amour les flèches trop légères,
Et la Raison ne put jamais de bonne foi
Equilibrer les adversaires :
Car des papiers noircis et renaissant toujours
Comme le cœur de Prométhée,
À la loi déjà lourde apportaient leur concours.
Alors la Raison dépitée,
Du jeune Amour prit le flambeau
Et le jeta dans le plateau
Où pullulaient ces parasites,
Et de dame Justice elle mit en retour
Le grand sabre à côté des flèches de l'Amour.
Aussitôt les plateaux des balances susdites
S'équilibraient sans efforts.

Puisse dame Raison, sur la terre où nous sommes,
Pour l'honneur et le bien des hommes,
Réaliser un jour ce qu'elle fit alors.

Livre VI, fable 12




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