« Ah ! mon voisin, quel accident!
Mais vous vous montrerez, j'espère, accommodant.
Mon taureau (j'aurais dû lui mettre des attaches),
En se rendant aux champs ce matin, s'est rué
Sur la plus belle de vos vaches ,
Et d'un coup de corne a tué
La pauvre bête. Au moins j'espère
Que vous ne serez pas trop exigeant, compère :
Vous compatirez à mon sort,
Je suis pauvre, voisin ; je veux bien qu'on le sache.
— Me montrer exigeant ! ah ! vous me faites tort.
Vous demander vache, pour vache ,
Ce n'est pas4rop, je crois : dans lés vôtres, ce soir,
Laissez-m'en donc choisir une qui me convienne,
Et je vous tiendrai quitte.—'Eh! quoi, mon désespoir,
Mes six enfants, voisin, rien ne peut... — Non, pardienne,
C'est mon droit, et j'y tiens. - J'accepte donc là loi,
Mais celui qui doit perdre ici, ce n'est pas moi ;
Car c'est votre taureau, compère, et non le nôtre,
Qui vient de mettre à mort ma vache, et non la vôtre ;
Ainsi souffrez que de ce pas, '
Parmi votre troupeau, j'aille en choisir une autre.
— Oh ! mais c'est un tout autre cas,
Car enfin si... d'ailleurs la façon subreptice...
— Point de si, point de mais, compère ; la justice
Ne peut changer ainsi selon votre intérêt ;
Vous n'appellerez pas de votre propre arrêt ;
Non, le simple bon sens vous condamne au silence :
Nous vivrions toujours sans discords, en effet,
Si nous voulions peser dans la même balance
Les torts que nous faisons et ceux que l'on nous fait. »

Livre IV, Fable 8, 1856




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