Le Renard et le Chacal Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Un renard rencontre un chacal
Qui lui dit : - Bonjour, mon compère.
- Moi, dit l’autre, vil animal,
Je ne suis ton parent, ton ami, ni ton frère !
- Va, reprend le chacal, soit moins fier, les larrons
Sont égaux devant la potence.
Nous différons un peu de poil et de naissance ;
Mais pour vivre, tous deux enfin nous dévorons.
Autour des poulaillers tu cherches des victimes ;
Tes festins sont autant de crimes…
- Peut-être, interrompit le renard ; mais, crois-moi,
Ne me compare pas à toi.
Je croque les poulets et même les colombes,
Je suis sans pitié, sans remord ;
Mais je ne fouille pas les tombes
Et je n’outrage point les morts !

N’effeuillez jamais les couronnes,
Disait Pythagore autrefois.
Voulait-il protéger les trônes,
Parlait-il du bandeau des rois ?
Non, mais des couronnes de gloire,
Des lauriers du Parnasse et de ceux de l’histoire,
Des grands noms consacrés par de nobles regrets.
Or, il ne pensait pas qu’il fût un cœur sauvage
Assez maudit pour faire outrage
A la couronne de cyprès.

Notre siècle a moins de scrupules :
Les nains vont au tombeau souffleter les hercules ;
On déchire Musset, on siffle Béranger !
Puisque pareille chose arrive,
Qu’y faire ? Il faut que chacun vive,
Et les chacals peut-être ont besoin de manger.

Livre I, fable 21


Symbole 21 :

Il est des hommes qui jettent l’injure sur les tombes illustres et des couronnes aux pieds des plus ignobles courtisanes ; des hommes qui briseraient volontiers les statuts des pères de la patrie et qui élèvent l’impureté sur le pavois. Ne leur disons rien et laissons-les passer. Le règne de la bête doit avoir son temps.

Cette symbolique vaut aussi pour la fable suivante, Les Singes et la Guenon.


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