Quand Darius perdit sa femme,
Quoique époux et monarque il en fut désolé.
Jamais mari, je crois, ne pleura mieux sa dame ;
Il en était comme accablé.
On fit ce que l'on put pour vaincre sa tristesse :
Remèdes, courtisan, boufson et médecin
Vinrent de toutes parts ; les savants de la Grèce
À la file arrivaient. Les pleurs allaient leur train,
Mais un roi pleure-t-il sans cesse ?
Démocrite eut son tour, personnage divin,
Dont on citait partout la science profonde,
Homme d'esprit et de grand sens,
Qui d'atomes crochus avait bâti le monde,
Et savait au besoin ressusciter les gens,
« Que Votre Majesté fasse trêve à sa peine ;
Sire, j'ai, lui dit-il, remède à son chagrin ;
Je puis ressusciter la reine,
Si vous secondez mon dessein,
— Parlez, rare mortel que la sagesse inspire ;
Que faut-il pour cela ? des trésors ? en voici.
Faut-il sacrifier mon trône, mon empire ?
Je les donne et ma vie aussi,
— Non ; je veux seulement que dans tout ce royaume,
Reprit l'Abdéritain, on cherche, on trouve un homme
Qui jamais de ses jours n'ait connu de souci.
S'il en est un seul qu'il se nomme ;
Au tombeau de la reine on gravera son nom.
Pour trouver cet heureux, aussitôt dans la Perse
Partent des courriers à foison.
Il n'est pays qu'on ne traverse ;
Il n'est palais, temple, maison
Qu'on ne visite. On court de rivage en rivage,
Sans pouvair découvrir ce phénix nulle part.
Mais le temps était du voyage,
Et le mal se trouva diminué du quart.
Lors Démocrite : «Eh quoi ! dans cet empire immense,
L'on n'a pu, Darius, trouver un homme heureux ;
Tous, grands comme petits, ont connu la souffrance,
Et vous prétendez seul ne pas souffrir comme eux ?
Quand vous voyez la mort dans la fatale barque,
Comme de vils troupeaux les passer chaque jour,
Est-il donc surprenant qu'au palais du monarque
Une reine ait aussi son tour ? »
Ce trait du plus sage des hommes
Plut au prince. En voyant de tous tant que nous sommes,
Et Monarque, et Satrape, et gardeur de troupeaux,
Que nul n'était heureux, il perdit sa tristesse ;
Et sentit qu'après Dieu, le temps et la sagesse
Sont le seul remède à nos maux.