La Fortune disait un jour :
« Je puis à mon gré, tour à tour,
Produire le bonheur ou le malheur des hommes.
Voyez, dans le siècle où nous sommes.
Comme on se plaît à m'honorer ;
Comme partout, pour m'adorer,
On dresse des autels où l'on me sacrifie
Talents, science, honneur, même sa propre vie.
Vous, Vertu, toi, Vice, entre nous,
J'ai bien plus de pouvair que vous.
Erreur, reprit le Vice, et quoi qu'il leur advienne,
Les heureux que tu fais, je les rends malheureux ;
Et ma puissance ainsi l'emporte sur la tienne. »
Mais la Vertu leur dit : « Merci seule rends heureux,
Malgré le vice et la fortune.
Que mon autorité tous deux vous importune,
Je le conçois, car c'est par moi
Qu'un berger sage est plus heureux qu'un roi.
J'élève une existence obscure
De la terre jusques aux cieux,
Et, l'entourant d'une auréole pure,
Je la montre à jamais brillante à tous les yeux !
Dans sa parole triomphante
Que la fortune, ici, se vante,
De son troupeau de favoris,
Aujourd'hui grands, demain petits,
Toujours tourmentés et trahis !...
Il n'est, sans moi, ni paix ni bonne conscience.
J'aide à vaincre l'adversité,
Et mène tout droit l'homme à l'immortalité !
Niez, si vous l'osez, ma céleste puissance. »
Le Vice et la Fortune ont gardé le silence.