Le Loup et sa femme à la cour Fables Sénégalaises

Un Loup pauvre, rustaud, vivait battu-battant,
Et pour surcroît de maux il avait une femme;
Femme fantasque, altière, et comme on en voit tant,
Chez mesdames Louves, s'entend,
Je ne fais pas une épigramme.
Gourmand, lui disait-elle, ignorante paresseux,
Tire-nous donc de la misère
C'est trop vivre comme des gueux;
Plutôt que t'épouser, j'aurais, ma foi, fait mieux
D'aller tout droit à la rivière »
« Hélas disait le pauvre époux,
La fortune nous est contraire

J'ai voulu vainement la ramener à nous.
Qu'entreprendre ? que faut-il faire ? »
« II faut se montrer au grand jour y
Reprit-elle, courir le monde.
Que ne vas-tu vivre à la cour!
C'est un pays où tout abonde,
Où tout est fait d'argent et d'or.
Beaux habits, diamants et brillantes livrées,
Quatre fois, chaque jour, d'abondantes lippées;
C'est enfin comme au temps des fées
Toute la cour n'est qu'un trésor,
Où les gens bien venus prennent, prennent encor
Sans voir ses sources épuisées.
Pourquoi n'en pas avoir ta part ?
C'est juste, offre au roi tes services. »
Le Loup de consentir; et, sous les bons auspices
D'un baiser de sa Louve, il part.

Dans ce nouveau pays qu'il ne connaissait guère,
Le lourdaud s'en va droit au roi.
« Sire, j'ai faim, dit-il, et suis dans la misère ;
Je vous demande un bon emploi
Je ne sais, il est vrai, rien faire
Mais tous ces messieurs que je vois
En savent-ils bien plus que moi ?
Si je n'ai pas leurs gentillesses,
J'ai plus qu'eux besoin de richesses,
Et m'en servirai mieux je crois !
Messieurs, chacun son tour, et c'est le mien, ma foi
Voulez-vous voir de mes prouesses ?
Nommez-moi grand-veneur du roi.
Chacun s'étonne; on se regarde;
Et puis chacun de rire et de le renvoyer
C'est un fou qu'il faudrait lier!
Il insiste, il se fâche, et même un vieil huissier
Dit qu'à montrer les dents le drôle se hasarde.
On lance contre lui tous les chiens d'alentour
Dieu sait s'il en est à la cour !
Chiens bassets, chiens couchants, dogues et chiens de garde
Donnent au grand-veneur la chasse tout le jour.

Le Loup, battu, honteux et maudissant sa femme,
Voulut se venger de la dame.
« Pars, lui dit-il à son retour,
Pars vite, on t'attend chez la reine ;
On veut bien t'accorder une place a sa cour,
Et notre fortune est certaine. »
La Louve y fut prise a son tour.
On dit qu'elle en mourut. Le Loup, ne vous déplaise,
S'en désola pendant. un jour,
Puis il eut le plaisir d'être gueux tout à l'aise.

Restons toujours dans notre état ;
Restons sans quereller, sans chercher de l'éclat.
C'est ma thèse.

Fable 13


Note de la fable 13 :

Au Sénégal, ce qu'on appelle loup est l'hyène.

Les nègres du Sénégal ont aussi
leurs rois; dès lors ils connaissent des courtisans et une cour. Une cour, pour résider sous des toits de paille, n'en est pas moins une cour. On n'y trouve pas moins d'orgueil et de bassesse, d'intrigue et d'ambition, que dans un palais de marbre. C'est la même vanité, c'est la même envie, ce sont les mêmes erreurs qu'en Europe. Ah! oui; oui, les noirs sont bien les mêmes hommes que les blancs.

Note personnelle : L'auteur se croit permis de porter des jugements sur une Afrique qu'il a contribué à coloniser. Il n'a aucune idée du mode de vie d'un Sénégal traditionnel, avant l'arrivée des blancs et de leur système politique et militaire hiérarchisé.


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