Un lion entrait en ménage ;
Il allait être heureux, il l'espérait du moins
Aussi de son bonheur, suivant un viel usage
Voulait-il avoir des témoins.
De par sa volonté royale,
Tous ses sujets furent donc prévenus
De cette fête nuptiale,
Dont personne n'était exclus.
L'édit même portait, pour règle générale,
Un point qui dans l'esprit de certains conviés,
Se croyant simplement d'une noce priés,
Semblait être une clause un peu trop amicale.
C'était qu'en cette grave et belle occasion,
L'absence ou l'hésitation,
A crime seraient imputées :
Et l'on connait assez les peines méritées
En cas d'offense envers sire lion.
Aussi vit-on bientôt bon nombre par prudence,
Craignant d'être en retard et préférant l'avance,
Partir pour se rendre à la cour,
Plutôt la veille que le jour.
Peur, curieux désir, aussi bien je le pense,
C'était trop d'un pour faire diligence.
Parmi tous ces gens empressés,
A cette fête intéressés,
Qui du lion gagnent la résidence,
Il en est, de pareils on en trouve toujours,
Qui sans rien avancer, gaspillent leurs journées,
Par les mêmes détails péniblement menées ;
Pour qui sans travailler les instants sont trop courts,
Dont l'esprit embrouillé prendra mille détours ;
Pour aujourd'hui la biche est de ce nombre !
On la voit bien souvent s'amuser de son ombre,
Pour elle son excuse est son agilité,
Dans cette circonstance elle se détermine
A suivre pour sa part avec docilité.¡
L'ordre qui vient d'être édité ;
Mais comptant sur sa jambe fine,
Elle croit que partir le matin lui suffit.
Comme de nos projets la fortune se rit !
La veille d'une fête, est-il souvent possible,
De bien dormir, et ne rêve-t-on pas.,
Qu'on est brillante, adulée, insensible,
Et qu'on fait des martyrs par ses divins appas ?
Tant et si bien de cette pauvre bête,
Les doux songes troublent la tête,
Que fort mal dans la nuit, elle peut sommeiller,
Et qu'au jour seulement elle doit s'éveiller.
Pourtant tranquille encore, elle se met en route,
Car arriver à temps pour elle ne fait doute ;
Elle devra même en chemin
Quelque peu s'arrêter pour un léger larcin ;
Qu'on soit de noce bon ; mais que l'on se sustente ?
Est-il décent qu'à jeun on se présente ?
Et qui ne prend d'ailleurs le temps de déjeuner.
A sa toilette aussi ne faut-il pas songer ?
Dans le cristal d'une onde pure,
Il faudra se mirer et s'arrêter encor,
Se bichonner j et parer sa figure,
Être superbe, et valoir un trésor.
Enfin comment quitter une glace fidèle,
Qui vous montre à vos yeux si brillante et si belle.
Pourtant il faut bien partir ;
Mais une heure est ainsi perdue.
Eh ! qu'importe ! assez tôt elle sera rendue ;
Le moyen est tout simple, elle n'a qu'à courir,
Et la biche on le sait, assez bien s'en acquitte.
Mais cette fois elle a beau marcher vite.
Le sort en est jeté, le temps perdu la bas,
Pour aujourd'hui ne se répare pas.
O regrets ! car lorsqu'elle arrive
Les autres sont sur leur départ !
On aperçoit la biche, et d'un trop long retard,
Peut-elle s'excuser elle qu'on sait si vive,
C'est désobéissance ou c'est mauvais vouloir,
Pour plaire au maître on le lui fait bien voir ;
On la dépèce ; au moment qu'elle expire,
On l'entend qui murmure et qui tout bas soupire,
Du but hélas ! j'étais bien près,
Et j'avais pourtant tout exprès,
Ce matin quitté ma demeure !

Ton exemple à tout autre apprendra ce refrain,
Ma chère ; c'est fort bon de se mettre en chemin,
Mais il faut arriver à l'heure.

Livre IV, fable 9




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