L'Arbrisseau, l'Arbre et le Cultivateur François-Joseph Terrasse Desbillons (1711 - 1789)

Un Arbrisseau s'élevait au dessus des genièvres et autres arbustes de cette espèce : il vit un très bel Arbre dans le lointain ; mais comme la distance l'empêchait d'en remarquer toute la beauté, et que d'ailleurs un petit nuage lui offusquait la vue, il alla s'imaginer que s'il était placé à côté de lui, il paraîtrait digne des honneurs de la préférence. Afin donc que tout le monde puisse les comparer l'un avec l'autre, il prie instamment le Cultivateur de l'ôter de l'endroit où il est, et de le transplanter auprès de cet Arbre. Le Manant s'y refuse d'abord ; mais enfin cédant à son importunité, il l'arrache de son lieu natal et le transporte à celui qu'il voulait occuper. Alors voyant notre pauvre petit Arbrisseau tout absorbé dans l'ombre immense de son voisin, il lui dit avec un ris moqueur : Combien n'aurais-tu pas mieux fait de garder ta supériorité sur les genièvres, les genêts et les chèvrefeuilles, que de porter envie à une grandeur si majestueuse, et de vouloir mettre ma petitesse en parallèle avec elle.
Il est des poètes qui se croient supérieurs à un Homère, à un Virgile : cette fable les invite à devenir sages.