L'Arbrisseau Ivan Krylov (1768 - 1844)

Voyant un villageois, une hache à la main,
Tout près de la forêt passer sur le chemin,
Un arbrisseau lui dit: « Écoute ma prière ;
Viens abattre ce bois qui, près de moi plante,
Ne m’a jamais permis de croître en liberté
Ni d’apparaitre à la lumière.
Ses pieds dans les miens enlaces
Ont mis ma racine à la gêne,
Et le doux zéphyr peut à peine
Rafraichir mes rameaux sous leur voile oppressés,
Si rien n’eût gêné ma croissance,
Le pays dans un an n'aurait dé sa beauté,
Et, protégé par moi des ardeurs de l'été,
Le vallon m'eût payé de sa reconnaissance ;
Mais, grêle et sans vigueur, sous ce fatal abri,
Comme un rameau séché ma tige a dépéri. »

Le villageois brandit sa hache,
Puis, pour ne rien faire à demi,
Il couvre au loin le sol des arbres qu'il arrache,
Et sert l'arbuste en vieil ami.
Notre orgueilleux seul dans l'espace
Et se pavane et se prélasse ;
Mais son triomphe est court ; de chaleur épuisé,
Bientôt sur sa tige encor frêle
Il voit fondre la pluie et s‘abattre la grêle,
Et sous l’effort des vents il tombe enfin brisé.
« Ah ! lui dit un serpent, ton mal est ton ouvrage ;
Si ton bois, pour grandir, est gardé son abri,
Des chaleurs et des vents il est bravé l'outrage.
Quand sous la faux du temps leurs troncs auraient péri,
Le tien est redressé sa tête ;
L'aquilon aujourd'hui ne l’aurait pas rompu,
Et, plus robuste, il aurait pu
Braver l'effort de la tempête. »

Livre IV, fable 2




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