Relégué dans le coin d'une antichambre obscure,
Un sac vide cf poudreux tristement languissait ;
Le dernier des valets qui près de lui passait
Sur ses fils éraillés nettoyait sa chaussure.
Un beau jour, relevant ce sac tombé si bas,
La main d'un financier vint l'emplir de ducats.
Sons les parois de fer de double et triple caisse,
Pour le mieux conserver, on l’enferme aussitôt ;
Son maitre charmé le caresse
Et garde, nuit et jour, le précieux dépôt.
Il n'est vent importun ni mouche tracassière
Qui pour le tourmenter puisse aller jusqu'à lui,
Mais, chaque jour, la ville entière
Accourt le contempler, et distrait son ennui.
Un ami vient-il en visite?
Crest du sac qu'on aime à causer.
Est-il ouvert? L'œil qu'il invite
En regards caressants sur lui vient se poser.
Si la main l'a touché, le cœur en bat plus vite;
L’œil alors plus ardent, le doigt plus agité,
Promènent le désir sur sa rotondité.

Voyant que chacun, à la ronde,
L’honore et le met en crédit,
Mon sac prend de l’orgueil, exerce sa faconde ;
Mon sac, à tout propos, tranche, critique et gronde,
Juge, décide en tout et toujours contredit :
« Ce n'est pas ainsi qu'il faut faire !
Tel est un âne et tel un sot !
Ceci va mal !... Mauvaise affaire !...
Bref, sans déraisonner, il ne dit plus un mot.
Mais les gens, pour ouïr cent sornettes pareilles,
Restent ta bouche ouverte et tendent les oreilles ;
Car les sacs de ducats bien lourds
Peuvent, selon leur fantaisie,
Nous débiter de sots discours ;
Prés d’eux ils trouveront toujours
Quelque benêt qui s’extasie.

Mais ce sac si gonflé d’or et de vanité
Fût-il prôné longtemps, fut-il toujours fête?
Comme il n'est rien qui toujours dure,
Quand on eut vide les écus,
La main qui le flattait le jeta dans l'ordure,
Et bientôt on n’en parla plus !

Sans vouloir de ma fable aiguiser la critique,
Que j'ai vu de ces sacs parmi nos financiers !
Commis, laquais jadis, essayant vingt métiers,
Ils allaient côtoyant l'office ou ta boutique.
Quêtant dans les tripots un écu hasardeux,
Dans leurs poches jamais ils n’en avaient vu deux ;
Aujourd'hui, gorgés d'or, de tout faisant ressource,
Par d'ignobles trafics ils ont grossi leur bourse ;
Us vont grand train, ils ont conquis
L'amitié des barons, des comtes, des marquis ;
Plus d'un, de valet passé maitre,
Convive journalier d'un seigneur de grand ton,
Quand jadis de office on l'est chassé peut-être,
Vient au salon doré parader au boston.
Ah! c'est qu'un million, c’est la grande merveille !
Et pourtant, mes amis, ne soyez pas si fiers !
Dieu vous garde (je veux vous le dire à l’oreille)
D'aller avec mon sac enterrer vos grands airs
Dans les ordures de la veille.

Livre IV, fable 3




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