Déjà maître absolu des plaines et des bois,
Le roi Lion, des eaux voulant avair l’empire,
Prétendait aux poissons dicter aussi des lois.
Mais pour les gouverner qui devait-il élire?
Le cas en grand conseil, un jour, est discuté,
Et sur maitre renard son choix s'est arrêté.
Mon gouverneur si bien opère,
Qu’installé dans son poste, et ne s’y gênant point,
Il prend de jour en jour un plus riche embonpoint.
Un petit villageois, son ami, son compère,
Se trouvait la, tout prêt à lui servir d’adjoint.
Quand on est deux, l’esprit est double:
Tandis que le renard, en jugeant maint poisson,
Dans les procès pèche en eau trouble,
Le compère avec lui se met a l'unisson,
Et va dans l'eau du roi pécher d’autre façon ;
Mais, en fidèle ami, tous les matins sans faute,
Il partageait d’ailleurs.
La pèche avec son hôte.
Il n'est fripon si bien caché
Qui n’ait parfois son compte à rendre.
Maint tour de passe-passe au juge est reproché,
Et de malins propos, que le roi peut entendre,
Disent gue sa balance a souvent trébuche.
Profitant d'un loisir pour se mettre en voyage,
Le roi dans ses États veut tout voir par ses yens
Et le voila sur le rivage
Ou le couple amical s'en donne à qui mieux mieux.
La pèche avait donné. Le hon petit compère,
Très du few, consacre son soi
Au friand régal qu'il espère
Avec son compagnon partager sans témoin.
Déjà les poissons, dans la graisse,
Sentaient avec effroi la chaleur les rôtir,
Et, voyant qu'il fallait mourir,
Par des sauts enragés accusaient leur détresse.
« Que fait li ce manant? dit le roi furieux,
Ouvrant sa large gueule et roulant ses gras yeux.
— Grand roi! dit le renard (on sait que dans sa tête
Cet animal fripon tient ruse toujours prête},
Tu vois mon secrétaire, esprit juste et sensé,
Et bien comme de tout le monde
Pour son dévouement sûr et désintéressé.
Ceux-ci sont des goujons, des habitants de l'onde,
Qui tous sur ton passage ont voulu se hâter
D'accourir avec nous pour te féliciter.
— Eh bien, comment va la justice ?
Le pays est-il satisfait ?
— Ici, grand roi, tout est parfait !
Qu’en prolongeant tes jours le ciel nous soit propice,
Car, grâce à tes heureux édits,
On n'est plus sur la terre, on est en paradis! »
Et les pauvres poissons, se tordant sur la flame,
Sautillaient dans la poêle et pensaient rendre l'âme.
« Mais, dit te roi, pourquoi ceux-ci,
Agitant la queue et la tête,
Sautent-ils donc toujours ainsi ?
— Sage monarque, ils sont en fête !
De joie, en te voyant passer,
Sans que le respect les arrête,
Ils se sont tous mis à danser ! »
Pour fournir la musique à ce bal populaire,
Le roi, coupant la phrase à l'effronté menteur,
Fit chanter sous ses dents monsieur le gouverneur
Avec monsieur son secrétaire.
Monarques qui quittez vos cours
Pour voyager dans votre empire,
Sur vos pas vous trouvez toujours
Maint renard habile a bien dire:
S'il vous fait tant de beaux discours,
C'est pour cacher sa poêle à frire.